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trouve dans toutes les vies de mystiques plus ou moins névrosés. Tolstoï, et il lui fallut deux années pour en arriver là, finit par s’apercevoir que son anxiété avait pour cause, non la vie ordinaire des hommes, mais celle des classes supérieures, conventionnelle, immorale et ambitieuse qu’il avait menée jusque-là. Cette vie, il l’a peinte dans Anna Karénine comme il la décrira, sous des couleurs de plus en plus sombres, dans la Sonate à Kreutzer et Résurrection ; il l’exprime dans sa Confession, d’une humilité si pathétique, si pleine d’un sincère repentir inséparable de la réparation. Il lui est impossible de songer à sa vie passée sans un sentiment « de honte et de douleur ». Il n’est, à l’entendre, pas un vice auquel il ne se soit adonné, pas un crime, mensonge, vol, ivrognerie, débauche, violence, meurtre, qu’il n’ait été capable de commettre. « Et les gens approuvaient ma conduite et me considéraient comme un homme relativement moral. » A Pétrograd, les écrivains l’accueillent et le flattent, puis il n’a vécu que pour les intérêts et les soins égoïstes de la famille, recherchant les succès littéraires et toutes sortes de plaisirs. Dans sa jeunesse, il dissipait en orgie et au jeu ce que ses serfs lui procuraient par leur travail, il les surmenait, les punissait... Bref, à en juger d’après ces amères accusations contre lui-même, il était le dernier des misérables, alors que bien loin de s’être ravalé au-dessous des manières et des senti-