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tenu à l’écart des partis. En lui, l’observateur sagace des misères et des faiblesses humaines se doubiait d’un enthousiaste doué d’une forte imagination et d’une sensibilité ingouvernable, sur laquelle la raison, l’expérience n’avaient aucune prise. « La raison, dira-t-il, ne m’a rien appris, tout ce que je sais m’a été donné par le cœur. » Ayant un jour, lors d’un voyage en France, assisté à une exécution capitale, il en perdit le sommeil. « Quand même» écrivait-il, on me démontrerait que le châtiment est nécessaire, mon cœur, seul juge, le niera toujours. » L’émotion et la passion deviennent ainsi des arbitres infaillibles : « Si votre point de départ et vos déductions sont justes, disait-il encore, ne craignez jamais les objections pratiques à vos conclusions, autrement vous ne produirez jamais rien d’original. » Joignez à cela le désir de primer en toutes choses : « Etre le premier ou mourir », fut la devise de sa jeunesse. Il songeait parfois à fonder une religion.

Cette poursuite intrépide de l’idéal, cette chasse à l’absolu est d’ordinaire l’apanage des années de jeunesse ; la maturité, les épreuves de la vie conduisent à la limitation des désirs et des espérances. Tolstoï ambitionne l’infini avec d’autant plus d’ardeur aux approches de l’âge mûr, lorsque le premier accès de fièvre révolutionnaire qui dévore aujourd’hui son peuple se sera emparé de lui.

Il est superflu de raconter ce que tout le monde