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SECONDE PARTIE.



I

Le 5 septembre, par conséquent le jour de l’arrestation des habitants de Grand-Pré, une légère barque de pêcheurs était entrée de grand matin dans la Baie des Français, (Pondy), par l’embouchure du fleuve St. Jean, (Nouveau-Brunswick). Penchée sous l’effort de sa petite voile latine, qu’une brise favorable venait de saisir, elle courait à la surface de l’eau comme une alouette au vol. Sa course en zigzag, qui semblait n’avoir d’autre but que le caprice, se dirigeait cependant vers Beau-Bassin. Le pilote évitait soigneusement le large, quoique la mer fût sans houle et le ciel sans nuages. Il entrait dans chaque anse autant qu’il fallait pour ne pas perdre le vent, et il longeait étroitement chaque promontoire, se tenant toujours dans l’ombre des grands rochers qui bordent toute cette côte.

Arrivée à peu près vis-à-vis du Cap Chignectou, qui forme la pointe de cette langue de terre prolongée qui divise la baie de Beau-Bassin de celle des Mines, la barque vira tout à coup de bord, et abaissant sa voile, elle se dirigea à force de rames vers un point abrupt de la côte acadienne voilé dans les demi tantes du lointain. Ce point était le Cap Fendu (Split), écueil gigantesque qui garde, comme une sentinelle immuable, rentrée du Bassin des Mines. Cette fois, dans sa course non moins rapide, la barque suivait une ligne droite avec une précision géométrique.

Quatre hommes étaient à bord ; deux, à peu près d’égale taille et d’égale force, tenaient les rames auxquelles ils imprimaient une