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JACQUES ET MARIE
SOUVENIR D’UN PEUPLE DISPERSÉ.
I

En 1710, Port-Royal fut pris par les Anglais, qui le nommèrent Annapolis. C’était le centre de l’établissement le plus considérable des Français en Amérique, l’un des appuis importants de leur puissance et le point qui avait toujours le plus menacé les colonies britanniques.

En 1711, toute la presqu’île acadienne subit le sort de Port Royal : la France l’abandonna par le traité d’Utrecht.

Ce traité laissait une latitude de deux ans aux anciens habitants pour disposer de leurs biens et rentrer dans les domaines de leur patrie ; il ne spécifiait rien pour ceux qui voudraient rester sous le sceptre des nouveaux maîtres.

En 1714, Nicholson, gouverneur d’Annapolis, invita les Acadiens à prêter le serment d’allégeance ou à quitter le pays dans l’espace d’un an. Beaucoup de ces pauvres gens croyaient que ce serment était d’une nature indissoluble, et qu’il y avait crime à le prêter à un souverain après l’avoir formulé pour un autre ; ils étaient unanimes, d’ailleurs, à ne faire cet acte solennel qu’après avoir reçu l’assurance que leurs services ne seraient jamais requis contre la France. Ils demandèrent donc la permission de s’embarquer sur des vaisseaux de leur nation. Mais on leur répondit que, aux termes du traité, les vaisseaux français n’avaient pas le droit de mouiller dans leurs eaux. Ils se résignèrent à attendre les chances de l’avenir ; pour le moment, ils n’osèrent pas confier leur sort à des navires anglais : un vague pressentiment leur faisait déjà redouter quelque perfidie.