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souvenir d’un peuple dispersé

puisse-t-il avoir tout pardonné à ceux qui ont froidement préparé et accompli tant de maux !…


XXIII

Pendant que ces scènes se passaient à Grand-Pré, d’autres, peut-être plus lamentables encore, se produisaient sur tous les points du territoire acadien. Soit que les conquérants n’eussent pas tenté partout la même ruse ; soit que les habitants fussent prévenus de leurs projets, une grande partie d’entre eux s’étaient déjà enfuis dans les forêts, à la date de la proclamation. Les Anglais se mirent donc à les poursuivre, à les traquer jusque dans les habitations des sauvages, où un grand nombre s’étaient réfugiés. La terreur de ces pauvres gens était si grande, que, dans leur départ précipité, ils s’étaient à peine pourvus des choses les plus nécessaires à la vie, de sorte qu’après quelques jours de souffrances extrêmes, ils revinrent se livrer à leurs maîtres. Ceux qui furent saisis en voulant s’échapper, ou qui firent quelques tentatives de résistance, furent fusillés, comme le gibier à l’affût ; partout le long des rivières, dans les sentiers sauvages, sur les routes publiques, on rencontrait des détachements de milice qui chassaient devant eux, comme des troupeaux égarés, quelques familles qu’ils avaient arrêtées au passage, ou saisies dans leurs dernières retraites : ils les conduisaient ainsi, au bout de leurs armes, vers les endroits de la côte où stationnaient les navires qui devaient les recevoir ; il y avait parmi ces captifs des femmes enceintes qui portaient d’autres enfants ; des vieillards, des filles adolescentes ; ils étaient affamés, dénudés et frileux.


XXIV

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Le cimetière de Grand-Pré avoisinait immédiatement l’église ; au milieu, s’élevait un tertre abrité par un groupe harmonieusement composé d’ormes, de cyprès et de saules pleureurs ; c’est au milieu de ce bocage que s’élevait la grande croix destinée à protéger le repos de la famille des morts ; et c’est près d’elle que, vers 9 heures du soir, vint se fixer une partie des troupes anglaises pour y déployer ses tentes et allumer les feux de bivouac. La nuit