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souvenir d’un peuple dispersé

D’un autre côté, il se croyait obligé de calmer les inquiétudes de Marie et de tous ses bons parents. S’excuser sur l’obligation de garder les secrets d’office… cela devait confirmer les gens dans leurs appréhensions. Déguiser la vérité… elle devait être révélée le lendemain au grand jour, et connue par tous et par Marie… Sa droiture naturelle se révoltait à cette idée. Le regard pensif et brûlant de la jeune fille était d’ailleurs fixé sur lui, comme pour percer dans sa pensée. Le père Landry se tenait en face, avec sa longue chevelure blanche, et sa figure vénérable lui semblait la divinité de l’honnêteté et du vrai. Il se sentit atterré, il eut peur de ses premières paroles ; par malheur pour lui, aucune ne devait passer inaperçue : le silence était complet ; car les enfants eux-mêmes, que le chant de la petite maîtresse avait attirés, étaient restés mornes et tristes. George fit donc la réponse la plus incohérente et la plus embrouillée ; chacun des sentiments qui l’agitaient semblaient en dicter une phrase ; de sorte que le document de Winslow n’en parut que plus incompréhensible. Seulement, l’auditoire crut comprendre que le lieutenant leur disait de rester rassurés sur leur sort.

La mère Landry, qui ne se sentait pas plus instruite, allait revenir à la charge pour obtenir quelques commentaires plus lucides. Mais sa fille se hâta de la prévenir : — Ma chère mère, dit-elle, je vous en prie, n’imposez pas à monsieur un interrogatoire, auquel il ne peut être préparé ; ne le mettez pas dans la pénible situation de vous dévoiler ses secrets d’état ou de forcer sa conscience pour vous laisser les charmes d’un faux espoir.

George sentit un trait passer à travers son cœur. Il regarda sa montre, et sans avoir vu l’heure, il dit qu’il était très-tard, puis il se leva pour partir : tous les autres en firent autant.

On était venu pour se réjouir et personne ne s’était amusé. Chacun se croyait un peu coupable du sentiment pénible qui avait attristé la fête, et se trouvait obligé de témoigner plus d’amitié aux autres pour se faire pardonner sa prétendue morosité. On se souhaita donc plus tendrement le bon soir, on se serra plus cordialement la main, on se promit des veillées plus agréables. George seul ne participa pas à cet épanchement suprême ; il se sentait comme un point isolé dans ce centre d’affection ; il n’osait offrir sa main aux autres ; il trembla en se présentant à Marie, quand il fut seul en face d’elle. La jeune fille ne leva pas même la sienne ; — elle la laissa pendante comme un crêpe attaché à la porte d’un mort.

Heureusementque les feux de joie s’étaient affaissés ; les ombres qui envahissaient déjà la grange cachèrent l’émotion dont le jeune