per. Le repas fut d’abord assez animé ; les jeunes gens y mirent tout l’entraînement qui leur était habituel en pareille circonstance. Quelques rasades de vieille eau-de-vie apportèrent encore au banquet un élément de gaité. Mais tout cela n’empêcha pas la conversation de devenir languissante : la verve folle s’envolait souvent.
Pour la retenir, on essaya de la danse ; mais les cotillons n’allèrent pas dans leur mouvement allègre ; les plus beaux danseurs traînaient derrière la note, enfin, la fête marchait tirée par les cheveux. Les enfants seuls ne participaient pas à cette langueur générale ; au contraire, leurs cris, leurs gambades, leurs culbutes dévergondées autour du bûcher, qu’ils attisaient, établissaient un contraste accablant avec, les amusements forcés de l’intérieur. Marie participait, plus que tout autre, à la contrainte qui l’entourait ; elle était dominée par un sentiment pénible. Plusieurs avaient été priés de chanter quelques-unes des romances du temps ; le tour de la maîtresse vint ; le lieutenant joignit ses sollicitations à celles des convives qui s’empressaient de vaincre la répugnance que la jeune fille avait à se faire entendre, ce soir-là. Elle finit par céder. Mais, soit à cause de son embarras, soit avec intention, elle choisit un vieux chant breton composé sur le combat des Trente. Voici quelle était cette ballade :
Dans le beffroi d’un antique castel
S’assit, jadis, une liante baronne,
Pour regarder aux champs de Ploermol
Les trente preux de noblesse bretonne
Qui combattaient contre Bembro l’Anglais :
Elle suivait, dans les flots de poussière,
L’écu d’acier que Beaumanoir portait
Et les éclairs que lançait sa rapière.
Longtemps son œil vit le fier chevalier
Frapper d’estoc sur la troupe félonne,
Guider, aux flots des crins de son cimier,
Les rangs bardés de sa noble colonne.
Mais vint un temps où la dame en émoi
De Beaumanoir ne vit plus les prouesses ;
Car il fléchit, et le champ du tournoi
Resta voilé sous des ombres traîtresses.
« Seigneur, Jésus ! Messire Beaumanoir
Serait-il mort, pour son roi, pour sa dame ? »…
Et, se mettant à genoux, jusqu’au soir
Elle pria pour la paix de son âme.