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jacques et marie


XVI

Enfin, un jour devait venir où les meubles de Marie seraient réparés, et ce jour était arrivé.

Le lieutenant, qui, le soir précédent, avait laissé des ordres très précis à ses ouvriers, se rendit chez la veuve avant J’aube. Tout son monde était sur pied et à l’œuvre ; les enfants de la fermière, les menuisiers, la femme elle-meme, tous s’occupaient à transformer la maison ; l’œuvre s’achevait, tant on y avait mis d’activité. Les pièces étaient peintes, et si bien ajustées d’avance qu’il n’y avait eu qu’à les placer.

Un porche élégant s’élevait devant l’entrée, surmonté d’un tympan pointu et d’une petite flèche gracieuse ; trois légers balcons, avec des détails gothiques, ornaient les fenêtres ; d’autres aiguilles s’élevaient sur le toit, dont une surmontée d’un coq tournant ; les meubles étaient installés à l’intérieur ; la boutique n’avait plus de secrets.

Quand l’heure de l’arrivée de la petite maîtresse fut sonnée, tous les heureux complices allèrent se cacher derrière un buisson, pour jouir de l’agréable surprise que Marie ne pouvait manquer d’éprouver.

Elle ne se fit pas longtemps attendre : elle était ponctuelle comme tout bon économe. Elle venait légère, sur les herbes blanchies de rosée, que personne n’avait encore secouée ; sa marche empressée, l’air vif d’une fraîche matinée d’automne, l’espérance d’une belle journée de travail animaient sa figure ; elle brillait comme la dernière reinette du verger.

La brume était si épaisse ce matin-là que la petite fermière n’aperçut la maison qu’en arrivant dessus. Quand elle vit la modeste demeure se dessiner tout à coup avec ces flèches élégantes et toute cette toilette de fête, elle resta fixée sur la terre comme la femme de Loth, son teint se décolora, il vint deux grosses larmes dans ses yeux et elle fut obligée de s’appuyer à la clôture.

George, croyant que c’était l’effet d’un plaisir trop soudain, s’empressa d’aller auprès d’elle. Marie le regarda avec un air plus triste que surpris, attendant un premier mot d’explication.

— Mademoiselle, dit-il, tout est complété, meubles et logis ; et j’espère que le tort que nous vous avions fait est réparé à votre satisfaction.