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jacques et marie

beau il déjeûna bien, et remit son suicide à un autre jour, songeant à revoir Marie encore une fois avant de mourir. Il ne se souvenait plus que de la beauté et des grâces de son apparition de la veille ; le désappointement était oublié.

Aussitôt la besogne régulière de son office accomplie, il se hâta de se rendre à la ferme de la mère Trahan pour installer les ouvriers qui devaient faire les réparations de la maison. Il était encore matin, mais pas assez pour que la petite maîtresse ne fût pas déjà rendue sur les lieux. Dès l’aurore elle était accourue pour voir comment sa fermière avait passé la nuit, après les cruelles émotions du jour précédent. Elle reçut le capitaine sur le seuil de la porte, ce qui lui fit une surprise si agréable qu’il en rougit, comme aurait fait quelqu’un moins aguerri que lui. Le pauvre garçon se trouvait dans un monde si nouveau pour lui, qu’il se sentait redevenu novice. Mais ce qui lui fit encore plus de plaisir, c’est que la jeune fille le salua presque le sourire sur les lèvres… Malgré le trouble évident de sa démarche et les nuances pourpres qui passaient sur son visage, habituellement un peu pâle, depuis quelque temps, elle vint au-devant de lui, l’invitant à entrer et à s’asseoir ; puis elle lui fit l’aimable reproche de mettre trop d’empressement dans une affaire si peu importante, le remercia ingénument de sa conduite généreuse à l’égard de sa famille adoptive, s’excusa de ne l’avoir pas fait plus tôt, à cause de son trouble et parce qu’elle n’avait connu tous les détails de son action que parle récit de la mère Trahan.

George n’en revenait pas de son étonnement : il était stupéfié ; il ne savait quelle trompette emboucher, quel langage tenir, quels sentiments exprimer. Il balbutia quelques lieux communs ; évitant, avant tout, de répéter rien qui ressemblât à bouche charmante, regard angélique, sourire ineffable. Enfin, cet incendiaire de cœurs, ce lion de haut parage était ébloui et confus devant une simple villageoise ; il ne savait plus faire qu’une sotte figure ; il restait devant elle comme un chanteur enthousiaste, qui, après avoir débuté fièrement dans un morceau favori, vient à s’étouffer tout à coup au plus brillant passage.

Il rayonnait tant de grâce naturelle, tant de vertu sincère et confiante, tant de dignité vraie dans toute cette petite personne ! car ce n’était plus la petite fille de l’automne de 1749, ce papillon doré qui ne se reposait que dans le mouvement, et ne vivait que du sourire et des joies qu’il faisait naître autour de lui. Elle atteignait à ses vingt ans, elle possédait tout ce qu’avait fait espérer son joli printemps. Son esprit avait acquis, dans la vie retirée et