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jacques et marie

quand ils aperçurent le dégât fait dans leur logis, ce fut un nouveau chagrin. Des meubles étaient en pièces, la porte enfoncée, deux châssis brisés. — Pauvre mamselle Marie ! se répétaient-ils entre eux, chère mamselle Marie, quesqu’elle va dire ? elle qui aimait tant sa petite maison !… sa table que voilà éhanchée !… sa bergère qu’ils ont éreintée !… Et les larmes leur revenaient, et ils oubliaient la présence de leur libérateur, qui, de son côté, restait absorbé dans la contemplation de cet intérieur désolé. Cependant ce n’était pas le désordre qui le frappait autant que l’apparence d’aisance, d’ordre, de propreté qui régnait partout et qui semblait annoncer plus de fortune que n’en possédait évidemment ses protégés. Mais quand il s’aperçut de leur nouvelle angoisse, il se hâta de dire que tout le dommage serait bientôt réparé, et qu’il ne leur on coûterait rien.

— Ah ! que vous nous faites du bien, monsieur l’officier ! s’écria la mère ; tenez, j’aurais mieux aimé me faire trépaner plutôt que de voir un brin de tout cet avoir enlevé sous mes yeux. Ah ! si le bien avait été le mien, pour le sûr que je n’en aurais pas soufflé un mot à vos soldats ; et je me serais dit, en les voyant tout enlever. Que le bon Dieu soit béni ; il connaît les coupables, lui ; mais on ne peut pas laisser prendre ce qui n’est pas à nous, quand on en a la garde. Ce n’est pas que mamselle Marie soit incapable de payer le dégât : son père est un richard qui ne lui refuse rien ; mais ce qui nous chagrinait, c’était que le mal se faisait chez nous… Notre maîtresse est si bonne ! Ah ! si vous la connaissiez ! Tenez, si nous ne l’avions pas eue, nous serions à la merci d’un chacun ; je sais bien qu’on ne laisse pas pâtir le pauvre monde, ici, mais c’est bien triste de n’avoir pas de chez soi ! Mon défunt mari était pourtant un bon et honnête homme, que les grosses gens respectaient comme un monsieur ; qui travaillait tant qu’il pouvait ; mais il n’était pas chanceux, — tout le monde ne l’est pas ; souvent des malheurs, des pertes de bétail ; surtout il n’avait pas de talent pour les vaches ; malgré tous ses soins, il en perdait toujours quelques-unes ; et puis, mon bon monsieur, il était battu du mal d’estomac, ce qui fait qu’il en est trépassé, que Dieu ait pitié de son âme ! Il m’a laissé avec six enfants, dont quatre sont morts de son mal, et ces deux gars, deux bessons, comme ça se voit, qui se portent bien et m’aident à faire des rentes à mamselle Marie. Elle les aime bien aussi, la maîtresse ; et eux !… si vous les aviez vus tantôt comme ils se battaient pour elle ! Ah ! ce n’est pas par malice s’ils ont tant égratigné vos soldats. Je vous assure, ils n’ont jamais