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jacques et marie

nant, on parla beaucoup sur son sujet. Il fut rumeur qu’il avait commis quelques grosses fredaines de jeunesse, comme cela arrive à quelques fils de bonnes familles, en Angleterre, et que ses parents l’avaient obligé de prendre du service en Amérique. Il fallait nécessairement s’être rendu coupable d’un gros péché pour se trouver au milieu de tant d’ours mal léchés : c’est ainsi que pensaient les gens. Ce qu’on savait de plus certain, c’est qu’il avait de la fortune et de la noblesse, et qu’il était venu avec un de ses frères qui occupait un grade dans le corps de Lawrence.

Si Monsieur George, comme on le nommait, avait fait des fredaines, pourquoi son frère, qui n’en avait pas faites, aurait-il été puni comme lui ? Enfin, malgré tout ce que l’on en dit, sa présence au Mines fit un sensible plaisir aux habitants : le contraste était si frappant entre lui et son chef !

Le jeune lieutenant avait les manières obligeantes et polies d’un homme de bonne éducation ; c’était un joyeux compagnon, bon, vivant à ses dépens et pour le plaisir des autres autant que pour le sien ; aimant à s’amuser partout et un peu trop de tout, il ne prétendait pas endosser la figure obligée d’un fonctionnaire désagréable ; et s’il désirait quelquefois voir son capitaine s’éloigner, ce n’était certainement pas pour abuser de son pouvoir, mais, en premier lieu, pour se voir délivré d’un supérieur, si déplaisant, ensuite pour laisser flotter à loisir les rênes du gouvernement. Celui-ci au moins était né bon prince. Malheureusement, on ne lui donnait pas souvent l’occasion de l’être.

Étant enfant, il avait fait un assez long séjour dans les collèges de Paris ; il parlait donc le français comme sa propre langue, et il ne s’en gênait pas, quand il en avait l’occasion ; Butler avait beau s’en fâcher, lui qui n’avait appris que nos jurons. — « En voilà un, se disaient les Acadiens, qui ne répond pas toujours, quand on s’adresse à lui : — G… d… m ! parle anglais, va à l’diable ! — Au contraire, M. George, qui a l’air du fils du roi, il ne dit rien fièrement, lui ; il nous donne la main, il parle d’autre chose que des ordonnances de Son Excellence, il s’informe de nos familles, de nos biens, et quand il nous rencontre, il ôte son chapeau ; oui, il ôte son chapeau, même à nos gars !… On croyais, à voir les autres, que les Anglais, ça naissait et ça mourait le chapeau sur la tête. » — Ils n’en revenaient pas, les bonnes gens, et ils ajoutaient souvent « Ah ! pour celui-là, s’il a jamais fait le gros péché qu’on dit, ça ne peut être par méchanceté, toujours ! »

En effet, le fond du caractère du jeune officier se composait de bienveillance et de bonhomie : malgré les dissipations d’une jeu-