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souvenir d’un peuple dispersé

vieillards les plus vigoureux de la commune, car les jeunes gens y étaient rares ; Jacques et Marie marchaient tout près ; sur leurs visages éplorés on distinguait un sentiment plus calme, plus doux, plus résigné, qu’on ne voit d’ordinaire chez les personnes frappées d’un pareil deuil… Derrière eux venaient tous les voisins et voisines. Le cortège, après avoir suivi le cours de l’eau pendant quelque temps, s’arrêta près d’un cimetière nouveau, situé sur la pente d’un coteau : la haie de l’enceinte descendait d’un côté jusque dans la rivière où elle trempait ses bouquets de noisetiers. On voyait déjà sur cette terre vierge quelques croix de bois, et une fosse qui attendait la dépouille d’un autre exilé. C’est près de là que fut déposé le cercueil.

Après quelques prières, les porteurs le descendirent dans le trou ; chacun lui jeta, pour adieu, une poignée de terre, et tout le monde s’en retourna en silence, quelques-uns seulement s’agenouillèrent un instant devant les croix qu’ils rencontrèrent. Sur ces croix, on lisait, à la suite des noms des défunts, les mots suivants, écrits par une main inculte : Né à Beau-Bassin, né à Grand-Pré, né à Port-Royal, né à l’île St. Jean… ils étaient venus de partout, à ce rendez-vous de toutes les infortunes et de toutes les misères. Jacques et Marie restèrent penchés sur le bord de la fosse, jusqu’à ce que le travail du fossoyeur eût fait disparaître le bois du cercueil ; ensuite ils regagnèrent aussi leur demeure, suivis du religieux, de Wagontaga et de deux voisins.

Le bon missionnaire qui venait de bénir une tombe, s’en allait bénir un mariage.


FIN.