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jacques et marie

Jacques ne jeta qu’un œil distrait sur ce tableau ; sa vue était clouée sur les petits rideaux auxquels le mouvement des personnes de l’intérieur imprimait une légère agitation. Mais il ne vit personne sortir de la porte. Cela lui laissa l’espoir que son père n’était pas encore dans un état alarmant ; et il compta les minutes par les pulsations de son cœur, ce qui raccourcit encore son quart d’heure d’attente.

Le Jésuite en était encore à ses préliminaires, quand il entendit le capitaine Hébert poser le pied sur le seuil de la porte.

— Diantre ! fit-il tout bas, je devais pourtant m’y attendre !

— On frappe, je crois… dit le père Hébert ; en même temps il cria d’une voix encore vigoureuse :

— Entrez !…

La porte s’ouvrit, et Jacques, s’avançant avec précaution pour éviter les rayons du foyer et raffermir sa démarche ébranlée par l’émotion, dit au maître du logis :

— Nous sommes deux soldats en voyage ; lassés, ignorant les chemins, nous venons vous demander le couvert pour la nuit.

— Vous êtes les bienvenus, vous êtes des amis ; des soldats qui servent si bien notre roi, doivent être reçus partout et à toute heure ; vous trouverez seulement l’espace étroit et la table bien nue ; nous avons tout donné pour l’armée. Asseyez-vous en attendant que ma fille puisse vous préparer un souper que vous partagerez avec le bon missionnaire que voici.

La maison était divisée en deux petites pièces par une simple cloison de planches ; la porte de communication se trouvait vis-à-vis la cheminée, qui était placée nécessairement dans la partie qui servait de cuisine et d’antichambre. Le vieillard était assis, dans ce moment, sur un lit, au fond de la seconde pièce, à moitié appuyé sur des oreillers comme un convalescent. Sa tête, penchée en avant, entrait de profil dans le cadre d’une fenêtre, ouverte sur le couchant, et ses traits amaigris par l’âge se découpaient avec toute leur énergie sur le ciel encore lumineux, comme ces grands pins bridés restés debout après l’incendie de nos forêts. Sa fille, accoudée à son chevet, passait son bras derrière le vieillard et appuyait son front sur son épaule comme pour le soutenir ; et le Père de la Drosse, assis vers le pied du lit, se disposait à poursuivre la conversation, mais à l’approche de son ancien ami, il vint au-devant de lui, sans doute pour l’observer de plus près et le contenir.

Quand Wagontaga eût été blotti dans un coin et que Jacques se fût assis près de la porte de division, le dos soigneusement tourné du côté du feu, le père Hébert dit aux voyageurs :