Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/278

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
280
jacques et marie

de quel côté pourrai-je adresser mes désirs ?… il me faudra aller parcourir la Nouvelle-Angleterre.

— Tu viendras avec moi, mon frère, dit Wagontaga.

— Et que vas-tu faire toi-même, maintenant ? te soumettre aux Anglais, regagner les domaines de ta tribu, ou te résoudre à rester près de moi ?

— Moi, me soumettre à ces blancs ! s’écria le Micmac : non, non, nous ne nous soumettons jamais qu’à la loi de la mort. Il est encore glorieux pour un guerrier vaincu de braver les horreurs du supplice, d’insulter ses ennemis qui le lient sur le bûcher, de les braver sous les coups de leurs casses-tètes, dans les ceintures de haches brûlantes. Nous combattons jusqu’à l’anéantissement, jusqu’à la dispersion de la tribu, alors ceux qui sont pris savent mourir, et ceux qui s’échappent vont plus loin engendrer une génération de vengeurs. Nous prêtons notre secours aux autres nations, dans la guerre, mais nous ne lions jamais nos bras et notre volonté. Vous autres, blancs, vous pensez à vos parents, à vos femmes, vous avez des cœurs mous ; nous autres, nous ne voyons que l’insulte faite aux os de nos pères, et nous ne vivons pas s’ils ne sont pas vengés dans le sang de nos ennemis. Ma tribu a été dispersée, les os de mes aïeux ont été souillés ; je serais impie si j’allais m’asseoir, seulement durant un soleil, sous la tente de ceux qui portent la flétrissure de ce crime. Non, j’irai me joindre à ceux qui peuvent combattre encore ; je me ferai de nouvelles armes ; j’aurai des enfants que j’exercerai à la guerre en leur faisant tuer des renards et des bisons, puis je les conduirai plus tard contre les Anglais. Il poussera des ailes aux ours et des cheveux aux cailloux avant que la clémence et l’oubli n’entrent dans le cœur de Wagontaga. Et crois-tu que je voudrais attacher ma vie à vos lois de la paix, à vos travaux d’esclaves ? Vous autres, hommes faibles, vous vous êtes fait des besoins serviles ; il vous faut dormir sur des lits, manger des viandes assaisonnées, couvrir votre peau sensible d’habits variés ; vous êtes gouvernés par ces nécessités, et vous travaillez toute votre vie pour gagner ces morceaux de métal qui servent à vous procurer ces choses. Quant à nous, nous prenons à la terre ce qu’elle donne pour nous alimenter et nous couvrir, et nous continuons à coucher sur elle tels que la vie nous y condamne. Partout elle nous offre ses richesses et elle ne nous retient nulle part. Nous sommes ses véritables souverains, jamais ses serviteurs et ses captifs. Méprisant ce que vous appelez des biens, nous n’avons pas de vils intérêts à protéger, ou à pleurer si nous les perdons, comme des femmes pleurent leurs enfants ; et nous ne sommes pas tentés d’avoir recours au