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jacques et marie

Le gouverneur assembla un conseil de guerre, on y délibéra sur l’état de la colonie, on rédigea un projet de capitulation, et puis on fit proposer aux conquérants un armistice d’un mois. L’armistice fut refusé, mais les articles de la capitulation furent tous acceptés ; sauf les deux qui demandaient la neutralité perpétuelle des Canadiens et les honneurs de la guerre pour les troupes françaises. Lévis, en apprenant ce refus, se leva indigné : il avait bien mérité les honneurs du soldat, celui-là ! Il voulut aller se réfugier sur la petite île Ste.-Hélène et s’y faire ensevelir avec le drapeau de la France. C’était un acte de désespoir, qui exposait à la vengeance du vainqueur les habitants restés à sa merci ; M. de Vaudreuil et les autres trouvèrent plus humain d’accepter une humiliation qui assurait d’ailleurs à la colonie des conditions passables si elles étaient sincèrement accordées.

Le 8 septembre, l’acte de capitulation fut signé, et les Anglais entrèrent dans la ville.

Il n’y avait plus de Nouvelle-France ; près de deux siècles de sacrifices et de combats étaient perdus !…

Aussitôt après, les soldats déposèrent leurs armes qu’ils n’avaient pas quittées depuis six ans ; les quelques sauvages qui nous étaient restés fidèles dirent adieu au grand chef des Français et à leurs compagnons d’armes, puis regagnèrent la forêt : pour eux, leurs anciens alliés étaient un peuple déchu ; les troupes régulières s’acheminèrent vers les vaisseaux qui devaient les rendre à la France, et les miliciens, les plus infortunés de cette grande infortune, furent conduits devant des magistrats militaires pour subir un supplice pire que celui des fourches caudines, celui de jurer leur allégeance à l’Angleterre ainsi qu’avaient été forcés de le faire tous les habitants des rives du St.-Laurent. Ceux-là, la nécessité, les besoins pressants de la famille les rivaient à la terre conquise ; il fallait qu’ils passassent sous le joug !… Alors, il y en eut qui firent entendre des imprécations contre cette cour de Sardanapale qui régnait à Versailles, et veillait dans ses débauches sur l’honneur de la nation ; qui gorgeait des concubines auxquelles elle abandonnait le sceptre, et laissait, dans son épuisement et sa gueuserie, écraser ses héros sans secours, démembrer l’empire, ruiner le prestige et l’influence de la France de Louis XIV, et borner son action civilisatrice dans le monde ; gouvernement hermaphrodite, qui, par l’impudeur de ses vices et la mollesse de sa conduite, n’inspirait de hardiesse qu’aux fripons dissolus ; gouvernement marqué par la main de la justice divine, et que le peuple, soulevé comme la