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jacques et marie

on comptait beaucoup de maisons à Grand-Pré que l’on avait allongées cinq fois.

C’est pendant la période des six mois de fiançailles que la famille Hébert résolut de quitter le village.

Les passions, à l’âge et dans les conditions de vie où se trouvaient Marie, peuvent être vives, et se faire jour par des formes et des expressions bruyantes, mais elles ne peuvent avoir une grande profondeur. D’ailleurs, les espérances sont encore infinies et la vie semble n’avoir pas de limites. Le départ de Jacques laissa donc la jeune fille bien triste pendant trois ou quatre jours, durant lesquels le tablier blanc ne cessa pas d’être humide. Mais comme le fiancé devait revenir, elle finit par l’attendre : six mois sont bientôt passés…

Ils passèrent, en effet, les six mois, mais personne ne vit revenir le plus jeune des Hébert. Les événements politiques jetèrent entre lui et Marie des obstacles insurmontables.


VI

Vers cette époque, tout semblait compliquer les relations de la France et de l’Angleterre ; les deux pays étaient entraînés invinciblement l’un contre l’autre. La lenteur des communications faisait qu’en Amérique les difficultés s’aggravaient avant qu’on pût y mettre ordre en Europe ; l’impossibilité d’avoir des rapports bien exacts à de si grandes distances ; l’avarice jalouse de toutes ces compagnies de traiteurs anglais et français qui se disputaient les richesses des forêts et l’amitié des sauvages ; la haine et l’envie qui animaient les colonies encore plus que les métropoles : tout engendrait la discorde ; la guerre naissait partout et à chaque instant. Ces deux peuples, qu’une mer avait éternellement séparés dans leur vieux monde, semblaient ne pouvoir pas fouler la même terre : notre continent était déjà trop petit pour leur double ambition ; leur antipathie se recherchait à travers les solitudes immenses du monde nouveau pour se heurter ; il fallait bien que l’un d’eux disparût.

On se rappelle que le chevalier de LaCorne avait été envoyé par M. de la Jonquière pour occuper l’isthme acadien ; c’est sur la rive occidentale de la Missaguash, presqu’en face de Beau-Bassin, que cet officier vint planter le drapeau de la France. Il voulait