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souvenir d’un peuple dispersé

Anglais, les acculent à leurs coteaux, les écrasent, passent sur le ventre d’une partie d’entre eux, poussent les autres jusqu’à la ferme Dumont, s’y précipitent avec furie, en chassent le corps qui l’occupaient, et après un combat de gladiateurs, s’y établissent eux-mêmes. Forcés d’évacuer la place une seconde fois, ils y reviennent une troisième, et finissent par se maintenir malgré une grêle de projectiles qui les décime et les ensevelit sous les décombres de leur frêle rempart.

Pendant ces charges brillantes, toute l’armée s’est précipitée sur le champ de bataille et a pu prendre ses positions. Lévis, profitant des avantages de sa gauche et du mouvement considérable de troupes que Murray avait dirigées contre elle, donne l’ordre de reprendre la redoute du Foulon, sur sa droite. Les petits combats, ou, pour mieux dire, les petites armées ont cet avantage, que les combattants se voient, s’animent de leurs propres exemples, utilisent de suite leurs succès. Il existait une certaine jalousie et beaucoup d’émulation entre les troupes régulières et celles tirées de la colonie qui, à cette époque, avaient presque autant de service que les premiers et pouvaient mieux résister aux rigueurs du climat. Or, c’est aux Canadiens de la brigade de la Reine, au corps mêlé de M. de St.-Luc et du bataillon de Jacques, qu’est confiée la tâche d’occuper là redoute ; ces gens brûlaient d’éclipser la prise de la ferme Dumont : ils avaient vu les Anglais sauter par les fenêtres, culbuter par-dessus les clôtures, et notre drapeau flotter sûr le moulin ; et c’est en le saluant d’une immense acclamation, qu’ils s’élancèrent des bois de pins où ils s’étaient tenus jusqu’alors. Ils ondulèrent un instant dans les ravins et sur les coteaux, comme des vagues que la tempête pousse de la haute mer, puis ils assaillirent l’épaulement de là redoute et retombèrent derrière. Un feu terrible les avait accueillis ; ils disparurent un instant dans la masse de fumée, comme dans le cratère d’un volcan en éruption. Les Anglais ne purent résister à un choc si violent, et on les vit bientôt sortir pèle-mêle du nuage où ils étaient ensevelis et se retirer précipitamment vers leur point de départ.

La redoute comme le moulin étaient entre nos mains ; les deux tentatives de Murray contre nos extrémités avaient échoué, notre armée était rentrée dans toutes ses positions ; elle pouvait, à son tour, attaquer l’ennemi dans les siennes ; mais le général anglais nous prévint. Exaspéré d’avoir échoué sur nos ailes, il avait résolu de faire un effort décisif sur notre centre. Pendant que son artillerie continue de foudroyer le moulin et la redoute, il charge le milieu de nos lignes avec le gros de son armée. Cette masse descend