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souvenir d’un peuple dispersé

— Tu dirais bien, mon enfant, et tu nous ferais beaucoup de plaisir, à tous ; tu n’aimes Jacques que tout juste… un peu plus que nous… et la brave femme embrassa sa fille, à son tour, qui se tenait le visage caché dans le cou de sa maman, et se taisait.

Après le grand effort, qu’il lui avait fallu faire pour jeter ce premier secret de son cœur à deux oreilles humaines, en face du soleil qui éclaire tout le monde… et entre les quatre grands murs de la maison, qui ont la réputation de tout entendre et de tout répéter, Marie avait besoin de vingt minutes de silence au moins. Quand elles furent passées, la mère Landry reprit :

— As-tu songé à l’époque du mariage ?

— Non, maman, est-ce que je puis me marier à présent ? Suis-je assez grande pour avoir un mari à moi ? Quel âge aviez-vous, mère, quand vous avez pris papa ?…

— Quatorze ans moins… moins quatre mois.

— C’est-à-dire un peu plus que treize, n’est-ce pas, maman ? Eh bien ! j’ai treize ans faits, moi, maintenant ; je pourrai donc, bien vite, dans six ou huit mois, faire comme vous… Ah ! que je suis heureuse ! je ne veux jamais être autrement que vous, maman ; cela fera que je serai une bonne petite mère aussi ! Est-ce que j’aurai dix-huit enfants, moi ?

— Peut-être davantage ; cela dépendra des bénédictions du ciel.

— Alors, vous prierez bien pour moi, maman. Et Marie continua, pendant deux heures, ce chapelet de phrases détachées. Quand le père Landry vint l’interrompre, elle avait déjà fait toutes ses invitations pour le mariage, préparé le dîner de noces, disposé sa toilette, monté et démonté sa maison-plusieurs fois, fait dix pièces de toilé, autant de flanelle, élevé cinquante douzaines de poules, battu mille livres de beurre, fait baptiser ses deux aînés, un garçon et une fille qui s’appelât en Jacques et Marie ; Marie ressemblait à sa grand’maman… etc… etc… etc…

Quelques jours après cette scène, les parents s’entendirent entre eux, sur les dispositions du mariage, qui fut fixé à six mois. Les deux familles, durant cette période, devaient faire les premiers défrichements d’une terre que l’on destinait à Jacques. Quant à la maison, on ne s’en inquiéta pas pour le moment. Après leur mariage, les deux enfants devaient rester dans celle des Hébert. Quoiqu’il y eut déjà quatre ménages dans la maison, on ne craignait pas la gêne : des cœurs qui s’aiment peuvent se loger dans un bien petit espace. D’ailleurs, la ruche devenant trop pleine, il y avait toujours la ressource de faire une allonge à la demeure commune ;