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souvenir d’un peuple dispersé

leurs soldats le spectacle de leurs figures piteuses et la honte de s’être fait prendre et enfumer par une poignée d’hommes, à cause de leur inconduite.

Pendant que ceci se passait à la maison, George était toujours resté enfermé dans la grange. Fort heureusement pour lui, la porte près de laquelle il se trouvait n’avait pas été fermée ; il put ainsi respirer librement durant quelque temps. La couche de paille qui le recouvrait était légère et le cachait comme un voile transparent ; il put donc voir l’incendie naître, se développer et l’enceindre rapidement dans ses terribles replis ; et ce n’était pas un moindre supplice d’avoir conservé l’usage de la vue et de l’ouïe, lorsqu’il était privé de la parole et du mouvement. En pensant à celui qui l’avait fait ainsi lier sur un bûcher, il ne se fit pas illusion sur le sort qui lui était réservé ; il l’attendit donc avec horreur.

Vraiment, après ce qu’il venait de faire, le supplice était trop rigoureux, et malgré qu’il se reconnût bien coupable envers Jacques et Marie, il se trouva trop puni. Son âme s’insurgea violemment contre une pareille destinée.

— Ah ! dit-il, il me semblait que j’avais payé un peu de la dette de ma conscience ; et, mon Dieu ! vous savez ce que je voulais faire encore pour réparer mes torts…

Mais il fallait bien accepter les décrets providentiels ; on ne lui donnait pas le temps de les raisonner, ni la faculté de les infirmer. Déjà des tourbillons de flammes commençaient à se frôler autour des grands pans de la bâtisse, à glisser sous le toit, à s’allonger vers son grabat fragile comme des langues avides. À la lueur qui filtrait toujours davantage à travers sa paille, à l’air ardent qu’il respirait, à la fumée qui l’étranglait, il jugea que son linceul épouvantable commençait à l’ensevelir. Jacques et ses compagnons, dans leur démarche furibonde, ne faisaient guère attention s’il s’en échappait des étincelles vers le fond de l’aire, quand ils venaient enlever leurs gerbes embrasées : la rafale en semait partout et soufflait ensuite dessus.

Cependant, tant que George entendit les pas des incendiaires, il ne voulut pas se croire condamné ; mais il vint un moment où les pas s’éloignèrent pour ne plus revenir : alors il ne saisit plus au dehors que les clameurs et les râlements de ses compatriotes, et au dedans que les efforts triomphants de l’incendie… Il était livré aux flammes !

Le bois de la couverture, exfolié par le feu, tomba en tisons légers tout autour de lui ; le vent qui s’échappait de ce foyer hale-