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jacques et marie

sous tous les autres, qui apparaît à toutes les phases de la carrière, jeune, chaste, riant, consolateur, malgré les douleurs, les défaillances et les égarements de l’existence. Enfin la nature, les circonstances, une heureuse destinée avait fait fleurir un mariage de pins sur le sentier de la vie ; les parents, le prêtre et le bon Dieu n’avaient plus qu’à le bénir.

Il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être dites, surtout d’être répétées pour être comprises : et quand on s’aime, pas en amateur, mais pour se marier, pour se marier à treize et quatorze ans, on ne prend pas la peine d’aller chanter les notes de ses sentiments à tous les échos, et aussi souvent que son Ave Maria. Mais enfin, quelque sobre de paroles que l’on puisse être, il faut toujours bien finir par prononcer le mot de la chose, puisque c’est la seule transition possible pour arriver au sacrement. Ce fut Marie qui le dit la première, mais elle le dit d’abord à sa mère ; voici dans quelle circonstance.

On dansait quelquefois sur l’herbe menue, devant la maison des Landry, après les offices du dimanche. C’étaient des cotillons animés, ou des rondes exécutées sur un chant naïf. Dans une figure, je ne sais plus laquelle, Jacques fut obligé de jeter son foulard autour du cou de Marie ; celle-ci s’enfuit ; le foulard était en nœud coulant ; pour ne pas étrangler sa voisine, Jacques lâcha prise, et Marie se sauva vers la maison avec son entrave, qu’elle serra soigneusement avec ses bonnets blancs, dans son tiroir parfumé de propreté et d’herbes odoriférantes. J’ignore si, le soir, elle le mit sous l’oreiller de son lit, ou si elle le noua autour de son cou, pour qu’il lui inspirât de doux rêves durant son sommeil ; mais il est certain que le foulard gardé fut toute une déclaration et devint le premier lien indissoluble contracté entre les deux amants.

Le dimanche suivant, Marie s’en coiffa pour aller à l’église, ce qui procura un bonheur infini à Jacques, et ne pût échapper à l’observation de la bonne mère Landry, qui jetait toujours un œil à la toilette de sa fille, sur la route de l’église, surtout quand il passait de jolis garçons, des partis… De retour à la maison, dans un moment où les deux femmes étaient seules, la mère dit à la fille ;

— Eh bien, si Jacques te demandait en mariage, que dirais-tu ?

— Qui, moi ? fit Marie avec un grand étonnement qui tournait peu à peu au sourire ; puis elle rougit jusqu’aux yeux ; puis elle embrassa deux ou trois fois sa maman, riant enfin décidément, et elle continua : — Eh bien, ma chère petite mère, je dirais… oui !