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souvenir d’un peuple dispersé

La vie laborieuse et libre des champs, le soleil abondant, l’air vif de la mer, les émanations embaumées des bois, les rosées matinales dans lesquelles Marie avait si souvent trempé son pied, en compagnie des narcisses et des violettes ; enfin, le contact continuel et l’aliment d’une nature vierge et féconde avaient donné à toute sa personne cette maturité précoce, commune à toutes les filles du pays. C’était l’union, sur une même tige, de l’éclat de la fleur qui féconde à la saveur du fruit mûrissant.

Un contour ferme marquait toutes les ondulations gracieuses de la figure que l’ardeur de l’âge et la gaité que donnent le bonheur et l’innocence animaient sans cesse, comme ces bruyères légères, sous l’haleine d’une brise continuelle. Son teint, abandonné négligemment aux caresses du soleil, avait revêtu sur ses lys et ses roses une légère nuance de bistre qui ajoutait encore à l’apparence de force et de nubilité hâtive de la jeune fille. Avec cela, les traits, que l’âge n’avaient pas encore bien caractérisés, avaient une finesse peu commune chez les villageoises ; la beauté de l’âme y rayonnait vaguement comme la lumière d’une étoile à travers un nuage léger ; et dans leurs lignes indécises, on y lisait déjà une grande sensibilité de cœur unie à beaucoup de force, de volonté et de vivacité d’esprit. Une certaine élégance native jetait sur toute cette petite personne un vernis de distinction naturelle qui ne s’alliait pas mal au bonnet normand, au mantelet de serge bleue du pays, au jupon de droguet écourté.

Voilà la seconde découverte que fit Jacques. Après celle-ci il n’en eut plus guère d’autres à faire que dans son propre cœur, et ces dernières ne l’obligèrent pas à de longues recherches ; elles se révélèrent elles-mêmes à sa conscience : car de ce jour, la petite voisine fut une incarnation complète dans sa pensée, dans son cœur et dans ses sens : il avait rencontré cet être unique, cet femme choisie après sa mère pour féconder dans son cœur cette seconde efflorescence qu’on appelle toujours l’amour, et qui contient comme en essence, toutes les joies, toutes les émotions futures, toutes les espérances, toutes les destinées de notre vie de la terre ; il avait connu pour la première fois et pour toujours, cette attraction mystérieuse de deux êtres, ce contact de deux âmes destinées à perpétuer sur la terre l’amour par leur amour, la vie par leur vie ; il avait goûté toutes ces pures délices que le créateur a semées autour du berceau de la famille, pour nous entraîner par le plaisir vers l’accomplissement des grands devoirs que nous prescrivent la Providence et la société ; il avait senti se graver dans sa mémoire le plus gracieux et le plus éternel de ses souvenirs, celui qui perce