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jacques et marie

avec le voisin, sur les choses de la terre, les Landry et les Hébert suivaient souvent le fossé mitoyen. Les enfants ne faisaient pas autrement que leurs parents ; seulement, Jacques franchissait quelquefois sa levée.

Un jour du mois de juillet, qu’ils s’en allaient ainsi tous ensemble visiter les foins en fleurs, pendant que les papas discouraient sur quelques singulières influences de la lune et sur l’avenir des pommes de terre, Marie avait aperçu, à travers les herbes, de belles grosses fraises qui lui arrachèrent un de ces cris de joie comme en font seul commettre, à pareil âge, ces agaçantes primeurs. Jacques, en garçon bien élevé, lui cueillit aussitôt les plus belles ; et, pendant qu’il jouissait du plaisir avec lequel Marie dévorait ces fruits nés des rosées, de parfums et des couleurs de l’aurore, il constata que les fruits, en s’approchant des lèvres de sa compagne, ne les faisaient pas paraître plus pâles.

Première découverte.

Dans ces terres alluviales, les maringouins sont toujours très-abondants ; il arriva donc que plusieurs de ces traîtres insectes osèrent aller butiner sur la fraîche épiderme de Marie, pendant qu’elle moissonnait ainsi tout le produit du matin ; avec une vivacité qui lui était naturelle, sans songer aux fraises qu’elle tenait sous le pouce, elle appliquait à la partie blessée un preste soufflet qui, tout en tuant le sanguinaire moucheron, écrasait sur place le fruit inoffensif. Plusieurs maringouins vinrent ainsi puiser au sang de la petite fermière, et tous en furent punis, mais non sans le sacrifice de quelques-unes des offrandes de Jacques.

Quand les promeneurs furent près d’arriver au village, un ruisseau se présentant, Marie, tout naturellement, demanda à Jacques de lui indiquer les endroits barbouillés de son visage, afin de faire toilette. Celui-ci trouva facilement les taches du jus merveil sur le front, aux tempes, dans la fossette du cou, à cet endroit où s’arrondissait la gracieuse oreille que le père Landry aimait tant à caresser ; c’est là où les maringouins font ordinairement le plus de ravage. Mais, quand il fallut explorer les joues et la partie la plus arrondie du menton, Jacques déclara, après un long examen, qu’il lui était impossible de constater l’impression du fruit délicat. Il aurait été bien plus simple de dire de suite à Marie de laver le tout ; ce n’était pas l’eau qui manquait Mais décidément ces enfants commençaient à devenir minutieux. Ce qui est le plus probable, c’est que le grand Jacques avait trouvé, dans ses recherches, sur la figure de son amie, bien d’autres jolis problèmes à résoudre.