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jacques et marie

jalousie, ni rien de ce qui est vil dans le cœur de l’homme ; il ne sentait même plus le feu qu’avaient fait monter à son front les paroles de châtiment de Marie ; il admirait, s’oubliant lui-même, ne songeant plus à ce qu’il était venu faire là. Et si, dans ce moment, il n’eut pas cru que toute réparation de sa part était superflue, il serait tombé aux genoux de ses victimes pour demander son pardon.

Mais le temps s’écoulait, il fallait exécuter les ordres supérieurs, et George se trouvait dans la cruelle alternative de laisser tuer Marie, ou de l’arracher du corps de son fiancé, pour pouvoir ensuite tuer celui-ci, devant elle !… Cela le révoltait également, il ne put s’y résoudre.

— Sergent, dit-il, sauvez la jeune fille ; que ces deux hommes la conduisent dans la maison, et la laissent au soin de cette femme qui est là, et puis, après cela, faites votre devoir…

Aussitôt il se retourna pour fuir cette scène de désespoir…

Il n’était pas très-loin, quand il entendit un cri déchirant, et après… une décharge d’armes à feu, suivie d’autres cris de douleur. Il revint sur ses pas, n’y pouvant plus tenir. Il trouva Marie étendue, sans mouvement, sur le lit de la veuve ; elle n’était qu’évanouie.

Après avoir pleuré avec la pauvre femme et Pierriche sur cette victime innocente, qu’il contemplait peut-être pour la dernière fois de sa vie, il s’empressa de retourner au presbytère, avec son jeune domestique, pour envoyer à la fermière tout ce qu’il fallait pour soulager sa maîtresse.

Les soldats étaient déjà disparus, probablement du côté de la Gaspéreau, où ils devaient aller jeter le corps.

Le lendemain, on trouva des traces de sang à l’endroit de l’exécution et tout le long du sentier qui conduisait à la rivière…


XXIII

Mais ces traces de sang ne rougirent pas longtemps l’herbe de la prairie : la rosée du matin ne vint pourtant pas les laver en faisant boire les fleurs tardives ; les pieds des troupeaux ne la foulèrent pas, non plus, en passant ; mais une main pieuse vint les effacer avec un beau linge blanc, bien avant le lever du soleil, pour les ensevelir sur son cœur et les emporter en exil. Elle avait été matinale, car l’heure du départ allait sonner.