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souvenir d’un peuple dispersé

bon voisinage n’en firent pas aller plus mal le catéchisme. Le jour de la première communion venu, les deux enfants allèrent ensemble à la sainte table, et quand ils revinrent à la maison, au milieu des parents en fête, il s’échappait un rayon de grâce de leurs fronts purs et candides. Marie était charmante sous son petit bonnet blanc, et dans sa toilette chaste et simple comme son âme. Un séraphin n’aurait pas pu mieux se travestir pour visiter notre pauvre terre, incognito.

Il est probable que ce bon Jacques ne constata pas encore le fait, tout occupé qu’il était à regarder une grande enluminure que lui avait donnée monsieur le curé, où l’on voyait un groupe d’anges débraillés et retors, comme on en faisait sous Louis XV.


V

Depuis lors, Jacques se remit aux travaux des champs avec ses frères, et Marie aux occupations nombreuses d’une ferme aisée ». Ils avaient pris à l’autel de leurs pères cette énergie morale qui caractérise les colons de ce temps ; ils allaient maintenant se former, dans leurs familles, à cette vie forte, active et régulière, à ces habitudes de travail et d’économie, de bienveillance et de probité qui furent tout le secret de la richesse et du bonheur des Acadiens.

Le fait seul que l’on retrouve ces deux enfants fiancés, quatre ans après leur première communion, prouve qu’ils n’en restèrent pas, l’un et l’autre, à leurs goûts pour le lait-pris et le gâteau populaire de leur pays. Jacques ne revit plus, sans doute, le petit pied blanc de Marie, car depuis que l’on avait dit à la fillette qu’elle était maintenant une grand’fille, elle aurait rougi jusque sous la plante de ce même petit pied, si elle l’eût aperçu nud, en public. Mais elle n’avait pas que le pied de mignon. Son minois qu’elle ne cachait jamais, parce que jamais le chagrin, la honte ou le repentir n’eurent l’occasion de l’effleurer d’un nuage ; son minois était aussi trop gracieux, trop attrayant pour que Jacques ne finît pas par s’en apercevoir.

En grandissant, ils ne perdirent pas complètement l’habitude de faire route ensemble pour aller à l’église ou ailleurs. Les bois et les prairies des deux familles se touchaient ; on avait souvent l’occasion d’y cheminer durant la fenaison ou les récoltes, et, comme tous les hommes des champs aiment à échanger quelques mots