Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
207
souvenir d’un peuple dispersé

nombreux, qui approchait de la maison, vint ébranler le sol jusque dans son souterrain. Peu d’instants après, il vit se soulever la trappe du caveau et descendre devant lui l’échelle, qui, cette fois, venait lui faire gravir les premiers degrés de l’autre vie : c’est ainsi qu’elle apparaissait à ses yeux. Il y monta avec fermeté ; ses chaînes ne lui pesaient plus, il les entraînait par une force immortelle. Plusieurs soldats le reçurent sur le haut, et l’entourèrent ; George était avec eux ;

— Toujours cet homme !… murmura Jacques avec quelqu’impatience, toujours devant mes yeux !… Il me faudra donc le voir jusqu’à mon dernier soupir !… Mon Dieu ! mon Dieu !… j’ai besoin de vous jusqu’au bout !… Ne m’abandonnez pas. — En même temps il baissa les regards pour ne plus apercevoir l’officier.

— Allons ! dit celui-ci, c’est l’heure de l’exécution, préparez-vous à la mort.

— Je suis prêt, monsieur, répondit Jacques d’une voix assurée.

— Auriez-vous quelque chose à me dire ? ajouta le lieutenant, sur un ton qui ne manquait pas de bienveillance.

— Je suis prêt, monsieur, à me rendre au lieu désigné… : je vous demande seulement de laisser ces derniers moments à mes réflexions !… il ne me reste rien à dire ici-bas…

— Alors, dit George, en se tournant du côté d’un fonctionnaire subalterne, ôtez-lui ses chaînes et faites la toilette…

Après l’avoir déchargé de ses lourdes entraves, cet homme enleva au condamné tout ce qu’il avait de vêtements sur la poitrine jusqu’au milieu du corps et lui relia le reste à la taille par une courroie ; puis, après lui avoir croisé les mains derrière le dos, il les saisit fortement ensemble par le même lien qui lui ceignait le corps. Cette opération étant terminée, tous sortirent de la maison. Une escouade les attendait à la porte, rangée sur deux files, le fusil sur l’épaule ; à l’avant étaient placés deux sapeurs tenant chacun une torche allumée ; un autre attendait Jacques au centre de l’escorte ; il portait un boulet rivé au bout d’une chaîne. Aussitôt qu’il vit le prisonnier rendu à son poste, il vint se placer près de lui pour l’accompagner jusque sur la place du supplice. À cette époque, on faisait toujours suivre le condamné par tout ce qui devait servir à son châtiment.

George donna immédiatement le signal du départ, et un tambour se mit à battre la marche.

La ferme de Marie était située à l’autre extrémité du village, à l’écart, près de la rivière ; il fallait par conséquent, pour y arriver, parcourir de nouveau tout cet espace que Jacques avait franchi à