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jacques et marie

nuits de votre jeunesse, osez vous écrier, dans l’énervement de vos forces, quand vos enfants, pleurent, quand vos domestiques ne peuvent pas assez vous servir : — Que la vie est difficile ! — jugez, devant le souvenir de vos fortes mères, quelles femmes vous êtes !

Jacques et Marie, ont donc commencé à filer la trame de leur bonheur, absolument comme leur père, leur mère et tous leurs devanciers de Grand-Pré le firent autrefois. Ils vivaient à côté l’un de l’autre, leurs familles étaient intimes, leurs relations journalières. Jacques avait à peine quatre ans de plus que sa petite voisine, et, comme il est proverbial que les garçons ont l’esprit beaucoup moins précoce que les filles que leur mémoire ou leur tête est beaucoup plus dure — dans l’enfance, bien entendu — Jacques et Marie se trouvaient au même degré de développement moral.

Ils suivirent ensemble les instructions religieuses du bon curé, qui leur enseignait, en même temps, à lire, à écrire et à compter. Pendant plusieurs saisons ils tracèrent, de compagnie, le petit sentier qui conduisait à l’église, le long du grand chemin. Tantôt Marie trottinait devant, tantôt Jacques, pour lui battre la neige, quand c’était l’hiver, ou lui faciliter le passage des mares boueuses, si communes en automne ; bien entendu qu’à tous les mauvais pas, le sexe fort aidait au sexe faible. Quelquefois, pour être plus agiles, les deux enfants eurent l’idée friponne d’enlever leurs chaussures. Alors, Jacques attachait les deux paires par les bouts des cordons et se les passant au cou, ils couraient tous deux, joyeux de l’aventure. Jacques ne faisait, d’ailleurs, nullement attention aux petits pieds de Marie, qui laissaient, en touchant l’argile fraîche tant de jolies empreintes !

C’était une de leurs habitudes de prendre, avec eux, leur collation de midi, qu’ils dégustaient d’ordinaire en commun, sur le gazon, à l’ombre de l’église. Jacques aimait, entre autres choses, le lait-pris, et Marie avait une petite dent aiguisée tout exprès pour grignoter la galette au beurre qui lui faisait éprouver des jouissances toujours nouvelles. Or, il arrivait souvent que Marie avait, dans son panier, du lait-pris, et Jacques, dans son sac, de quoi satisfaire la petite dent de Marie. L’on partageait, cela se devine.

J’ai oublié de dire que les deux amis avaient un fidèle compagnon, qui ne les quittait jamais d’un pas. Cette dernière circonstance me le rappelle ; car il aimait également la galette et le lait-, pris, et il faisait grand honneur aux deux ; il aimait aussi, à un égal degré, sa sœur Marie et son voisin Jacques. Il se nommait André.

Les délices de la collation et tous ces agréables petits rapports de