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souvenir d’un peuple dispersé

trop complaisante à tous les travestissements ; les fantaisistes en abusent.

Ce que les bandes allemandes du connétable de Bourbon ont fait dans les salles du Vatican, les troupiers de Winslow pouvaient bien se le croire permis dans la demeure d’un pauvre curé.

Ainsi, tous les bienheureux personnages de la galerie du presbytère portaient, maintenant, entre leurs lèvres, de longs calumets tout allumés ; sans doute pour faire allusion à cette croyance des sauvages, que les habitants du ciel n’ont pas de plus douces jouissances que celle de fumer leur pipe en se racontant les histoires d’autrefois. Un St.-Joseph en pied avait reçu, à la place du lys emblématique, un bâton de tambour-major, et il portait, en outre, avec un air de candeur que n’ont pas d’ordinaire ces messieurs, l’uniforme des montagnards écossais. St. Jean-Baptiste jouait de la clarinette ; on avait profité de son juste-au-corps en peau de chevreau pour en faire une sorte de berger calabrais.

C’est toujours bien triste d’entrer dans l’habitation d’un ami parti, mais cela serre doublement le cœur quand on voit la dilapidation et le mépris s’attacher à ses reliques, quand on ne retrouve plus cette atmosphère toute imprégnée du baume de notre vieille affection, mais que, au contraire, tout nous fait éprouver l’impression d’un bien perdu, d’un vide poignant qui ne pourra jamais être rempli. Marie et son père ne pouvaient attacher leur vue à un objet que le commerce de leur aimable pasteur leur avait rendu familier, sans y trouver la trace d’une maculation.

L’existence d’un bon curé est intimement liée à celle de tous ceux qui l’entourent. C’est le centre de la vie morale d’une population, un foyer de repos, de consolation, de bonheur placé au-dessus des intérêts de la terre ; elle se relie à tous les souvenirs purs d’une famille, à toutes les dates d’un village ; elle tient au berceau de tous les habitants, elle aide à préparer la carrière de chacun d’eux en leur donnant pour régler leurs actions le mobile de la foi ; elle participe à leurs joies comme à leurs misères ; après avoir sanctifié leurs premières pensées, elle apporte des bénédictions à leurs derniers soupirs, et elle les accompagne jusqu’au seuil de l’éternité. Elle forme donc, dans ces rapports continuels d’une nature si élevée, des liens bien forts avec toutes ces autres existences qui semblent rayonner de la sienne.