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jacques et marie

qu’un les avait frappées légèrement du dehors. Elle s’arrêta aussitôt avec effroi ; le même bruit se répéta de suite, mais plus accentué.

— Il y a là quelqu’un, dit Marie glacée… quelqu’un qui me regarde, qui m’épie… à cette heure avancée, dans cette nuit solitaire, dans ce village où il n’y a plus un seul homme ami qui soit libre !…

À peine eut-elle balbutié ces paroles, qu’une figure dépassa à moitié le bas de la fenêtre et se colla sur les carreaux, et elle entendit son nom discrètement articulé.

— Marie, Marie, c’est moi…

Elle allait crier, fuir, quand elle reconnut P’tit-Toine, le peureux P’tit-Toine, qui, en s’accrochant des pieds et des mains dans les chanfrins des vieilles pièces du solage, était enfin parvenu à une hauteur que sa taille ne lui permettait pas d’atteindre sans échelle, et il répétait, soupçonnant la terreur de sa sœur :

— C’est moi P’tit-Toine, ton frère.

Lui ouvrir, le hisser par les bras dans sa chambre et l’embrasser à cent reprises, fut pour Marie la besogne d’un instant. En tombant sur le plancher Ptit-Toine s’écria, sans voix, tout haletant :

— Pauvre p’tite sœur, je ne suis donc pas mort ! et toi non plus… elles autres ?

— Les autres non plus, p’tit frère… Mais d’où viens-tu ? d’où t’es tu échappé ?… tu n’étais donc pas prisonnier avec les autres ?…

— Je n’en sais rien d’où je viens… du bout du monde ! de l’autre côté de la mer !… J’ai vu Jacques… des sauvages… ils ont tiré sur nous… j’ai cru qu’ils m’avaient tué ; mais non !… Après, je n’ai retrouvé ni André, ni Jacques, ni son Micmac, rien que mon chemin, et je suis revenu à travers les bois, de nuit ; j’ai vu ta petite lumière, c’est ce qui m’a fait penser que tu devais être dans ta chambre, peut-être Jacques aussi… et ça m’a donné du courage pour arriver, pour frapper… Tu as eu bien peur, hein, pauvre sœur ; mais tiens, j’ai eu plus peur encore ; et j’ai faim, p’tite Marie, je meurs de faim !…

— Tu as vu Jacques, toi ?… des sauvages ?… tu étais avec André ?… tu as traversé la mer ?… mais explique-toi, explique-toi !…

— Oui, oui, je l’ai vu.

— Mais où l’as-tu vu ? comment l’as-tu rencontré ?… Il n’était donc pas encore prisonnier ? Tu lui as donc parlé ? Ah ! dis-moi vite, p’tit frère, ce qu’il ta raconté ; dis-moi tout, tout !

Et Marie embrassait encore son frère.

— Eh bien ! je l’ai vu là-bas… reprit P’tit-Toine, à moitié étouffé