Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
jacques et marie

— Ne pleure pas, petite ; tu sais bien qu’il reviendra, ton Jacques, au printemps ; puis il passa sa main autour de son cou pour lui caresser la joue et le bout de sa jolie petite oreille, et ils s’acheminèrent lentement du côté de leur demeure.

Marie marcha quelque temps sans rien dire, se contentant de soulever souvent jusqu’à ses yeux le coin de son tablier blanc ; après, elle dit a son père :

— L’année dernière, au mois de mai, un petit ménage de rossignols était venu s’établir dans une belle touffe de trèfle rouge et de millet sauvage ; une grande feuille de plantain se penchait sur le nid, lui servant de toit, et le taillis de pruniers lui jetait toute son ombre. Aussitôt que je vis le couple assidu au logis, je me mis à chasser tous les chats du voisinage ; je mis même Minou prisonnier dans la cave : le perfide m’avait grippé un poulet, autrefois. Tous les jours, quand la mère allait dîner (et elle n’allait pas loin, car je lui portais toute la mie de mon pain sur cette grosse pierre plate, de l’autre côté du taillis), moi, je courais bien doucement, comme aurait fait Minou, puis écartant les grandes herbes, je regardais si les quatre petits ne mettaient pas le nez à la fenêtre de leur maisonnette. Quand ils en furent sortis, je leur portai bien autant de vers que si j’eusse été leur maman ; et je remarquais en passant le progrès de leurs plumes.

Un jour, je trouvai toute la famille perchée au bord du nid ; un d’eux même avait grimpé au plus haut faîte de la feuille de plantain ; et tous ensemble ils regardaient le ciel et la prairie, où jouaient les grands oiseaux, leurs aînés. Je jugeai qu’il était temps de laisser un souvenir à mes petits ambitieux, et je leur attachai à chacun un fil de soie rouge à la patte droite. Le lendemain, à l’aurore, ils étaient déjà en plein pré, trottinant et soulevant l’aile à chaque brise qui passait. J’essayai de les attirer avec mon pain, en imitant le cri de leur mère, mais elle les appelait plus loin dans le feuillage, et ces enfants du ciel ne voulaient plus que l’espace et de l’air ; ils firent tant qu’à la fin une rafale vint les saisir, et ils allèrent en tourbillonnant se perdre, les uns dans les futaies, les autres dans les charmilles. J’en ai vu tomber un dans la rivière ; il a surnagé longtemps, suivant le cours de l’eau, et je ne l’ai pas vu revenir… Les autres s’appelèrent encore jusqu’à la nuit ; mais le jour suivant je ne les ai plus entendus : eux aussi, ils s’étaient dit adieu !…

Ce printemps, au premier chant du rossignol, je suis allée vite, vite, voir si le nid était en ordre, si les écureuils ne l’avaient pas pillé, pour faire leur lit d’hiver ; il y était encore, aussi mollet,