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souvenir d’un peuple dispersé

André et P’tit-Toine avaient à peine le temps de respirer, peu habitués qu’ils étaient à un pareil exercice. Wagontaga fermait la marche ; de temps en temps, on entendait son tomahawk déchirer le flanc de quelques arbres sur son passage. Le Micmac marquait ainsi le chemin parcouru, pour mieux le retrouver plus tard. À un endroit, la voie leur parut mieux frayée, et les deux Landry jugèrent, après avoir consulté leurs souvenirs, qu’ils devaient être très-près de la Rivière-aux-Canards, qui bordait de ce côté les premiers établissements des Mines. Non loin de là, ils trouvèrent quelques vêtements tombés sur la route : c’étaient de nouveaux indices qu’ils touchaient aux habitations. Après avoir recueilli ces choses, ils hâtèrent le pas ; mais leur regard tomba sur quelques autres objets domestiques qui gisaient par terre. Ce nouvel incident éveilla leur attention ; il leur parut avoir une signification toute particulière ; ils s’arrêtèrent en s’entre-regardant.

— Voilà qui est étrange, dit André ; qui s’amuse à semer ainsi son linge sur les chemins ?…

— C’est une bonne fée, dit P’tit-Toine, qui veut donner à Jacques une occasion de s’habiller plus chrétiennement avant de se montrer à Grand-Pré.

— Quant à moi, interrompit celui-ci, ça m’a bien l’air d’un déménagement forcé qui me rappelle celui des habitants du Coudiac ; on trouvait ainsi, en approchant de cette rivière, des pièces d’habillements, des couvertures, que les gens avaient perdus dans leur fuite précipitée.

Dans ce moment, Wagontaga, qui avait continué de marcher, vint frapper sur l’épaule de Jacques en lui faisant signe de se taire, puis il lui montra, dans la direction de la grande route où ils allaient entrer, un point menaçant… Les trois voyageurs se turent, et après avoir prêté l’oreille, ils distinguèrent le bruit de pas qui semblaient s’éloigner. — Ce sont des compatriotes, dit André, qui vont comme nous à Grand-Pré ; ils viennent de perdre ces choses, hâtons-nous de les rejoindre pour les leur rendre, et nous ferons route ensemble. Et sans attendre d’autre réflexion, les deux frères s’élancèrent du côté des inconnus. Jacques, quoique moins confiant, les suivit de près avec son flambeau ; Wagontaga se contenta de les regarder de loin. Il touchait, d’ailleurs, au terme de son voyage, et comme les sauvages n’ont pas l’habitude de faire de trop longs adieux, il se préparait à tourner de bord aussitôt qu’il aurait touché la lisière de la forêt.

À peine avait-il franchi quelque distance, que P’tit-Toine aperçut vaguement, devant lui, entre le massif de sombre verdure qu’il