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jacques et marie

on conçoit que de pareilles offres devaient être bien puissantes sur des cœurs restés aussi sincèrement français, malgré leurs nouveaux liens politiques. Il était évident, aux yeux du plus grand nombre, que les Anglais n’entendaient plus leur laisser leurs droit et privilèges de neutres en face de la France menaçante et armée. Cet état anormal devenait de jour en jour plus insupportable pour les Anglais comme pour les Acadiens, surtout pour les habitants voisins du Canada et du Cap-Breton.

Le parlement de la métropole venait de voter des sommes considérables pour favoriser la colonisation du pays par ses émigrants ; et en 1749, Cornwallis débarqua dans le havre de Chebouctou, à la tête de 3760 hommes, à peu près tous mauvais sujets de Sa Majesté. Car pour hâter cette colonisation, le gouvernement ne tint guère à n’y implanter que des germes de vertu et d’honneur. On y déversa le trop plein des prisons. C’était un charmant voisinage à procurer aux honnêtes Acadiens que ces troupes de bandits ! Ils ne leur firent pas, pourtant, mauvais accueil. À peine avaient-ils appris leur arrivée, qu’ils s’empressèrent auprès d’eux, offrant des provisions de toutes espèces, l’aide de leur travail et de leur expérience.

Quelque temps après, ce même Cornwallis lança une proclamation qui enjoignait à tous les habitants indistinctement de venir faire acte de soumission au roi dans la formule ordinaire. On accordait une période de trois mois pour remplir cette obligation. À tous ceux qui obéiraient à l’ordonnance, on assurait la paisible possession de leurs terres et le libre exercice de leur religion et de leurs droits de citoyens anglais ; les autres étaient menacés de confiscation et d’exil.

La même protestation unanime s’éleva contre cette nouvelle injonction. Les habitants rappelèrent la promesse de Philips, la réserve qu’on leur avait toujours accordée dans les termes de leur serment, leur fidélité constante ; la cruauté qu’il y aurait de les jeter, main armée, contre des poitrines et des cœurs français, etc… On leur répondit que Philips avait été censuré par le roi pour ses promesses indiscrètes. Ils n’avaient jamais entendu dire un mot de cette censure jusque là : pendant plus de trente ans, confiants dans la parole du représentant de leur souverain, et fidèles à celle qu’ils lui avaient donnée, en retour, ils avaient cultivé en paix leurs champs, défriché des terres considérables, accompli des travaux publics gigantesques, accru les ressources du pays. Mais la raison politique fait découvrir bien des choses !

À l’époque des garanties de Philips, le gouvernement colonial