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jacques et marie

action si puissante qu’elles ployaient sous leurs efforts en chassant au loin la mer troublée de son écume. On remarquait une notable différence dans le caractère de la physionomie et l’accoutrement de ces deux rameurs. L’un avait, avec ses six pieds de taille, une carrure bien fournie ; son teint fleuri, sans trop de délicatesse, où le sourire avait tracé ses réjouissants sillons, annonçait une belle santé nourrie dans l’abondance, sous les heureuses influences du travail des champs, de la vertu et du bonheur. L’autre, quoique moulé dans des proportions aussi héroïques, avait évidemment senti dans son printemps le contact d’éléments mauvais. À l’aisance avec laquelle il ébranlait la mer de sa rame, il était facile, cependant, de juger que la vitalité et l’énergie n’avaient pas été atteintes sous cette forte machine humaine. Au calme qui régnait sur son front lisse et dans son œil sec, à la fermeté avec laquelle les muscles de la bouche appuyaient ses lèvres minces l’une contre l’autre, il n’était pas possible d’attribuer au vice ni à une consomption hâtive cette maigreur et cette maturité forcée. Sous une peau hâlée et sans nuances se dessinaient les angles bien accusés d’une belle charpente osseuse. Du creux des tempes jaillissait un faisceau de veines toujours gonflées, qui allaient se perdre dans l’orbite de l’œil et vers la naissance des cheveux, annonçant que sous cet extérieur aride et grave circulait un sang ardent et prodigue : ses yeux un peu affaissés dans le repos, sous la projection frontale, voilés dans l’ombre d’un sourcil épais et noir, légèrement enflammés aux cils, laissaient soupçonner, non pas un caractère violent (le regard était doux et triste), mais une fièvre latente, des nuits sans sommeil, des travaux surhumains, des orages terribles. La vie avait pesé sur cette tête de vingt-trois ans ; car on lui en aurait donné volontiers dix de plus. Avec cela, une fée sauvage avait présidé à la toilette de cette singulière figure. Ses cheveux noirs et sans reflets descendaient sur ses épaules en grosses mèches droites et mêlées, qu’une main pressée avait seule labourées depuis plusieurs années. Tout le corps était recouvert de peau de chevreuil et de veau marin. Un large pantalon lié à la cheville du pied couvrait le bas, et une chemise ample, portée en tunique, revêtait le haut ; ces deux pièces d’habillement étaient unies et serrées à la taille par une forte courroie, d’où pendait, sur le devant, une sacoche faite dans une peau de loup-cervier dont elle gardait la tête et les pattes : un long coutelas était passé en travers de cette ceinture, et quoique ce fût la seule arme que l’on remarquât dans le harnais de ce soldat des bois, l’on voyait à des signes évidents qu’il avait dû en porter d’autres.