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jacques et marie

En 1719, pendant une absence du colonel Philips, qui avait succédé à Nicholson, son lieutenant trouva le moyen, soit par violence, soit par ruse, de faire prêter le serment à un assez grand nombre des habitants de la ville et du voisinage. Le gouverneur étant de retour, ils allèrent se plaindre amèrement à lui de l’acte de son subalterne. Philips les calma et leur assura que s’ils prêtaient le serment, on ne les obligerait jamais à porter les armes contre la France. Sur cette promesse, 880 hommes, qui devaient former la portion la plus influente de la population de la péninsule, jurèrent fidélité au roi George Ier.

Depuis lors jusqu’en 1744, les Acadiens, retirés dans leurs foyers, s’occupèrent sans inquiétude de la culture de leurs terres, s’habituant à un état de neutralité que tous, Anglais et Français, semblaient leur confirmer. On les nommait neutrals (les neutres).

En 1744, la politique européenne ayant entraîné de nouveau l’Angleterre et la France sur les champs de batailles, l’Acadie devint un des principaux théâtres de la guerre en Amérique. Les flottes des deux nations vinrent se heurter sur ses côtes. Le siège de Louisbourg par les Anglais, celui d’Annapolis par les Français, occasionnèrent, au milieu des populations acadiennes, des rencontres fréquentes de corps armés qui ne manquèrent pas d’y jeter la perturbation. Un des plus brillants faits d’armes de cette guerre de quatre ans eut lieu à Grand-Pré même, sur le Bassin des Mines, le bourg le plus considérable et le plus tranquille des neutres.

C’était une singulière situation pour ces habitants que celle de voir, du seuil de leurs chaumières, des Français et des Anglais répandre leur sang dans ces combats acharnés. Pendant le désordre de la mêlée, quand ils entendaient la voix de leurs anciens compatriotes les appeler dans l’agonie ou les narguer dans le triomphe, quelle lutte terrible devaient se livrer en eux le sentiment de la nature et celui de la foi jurée !

Comme ils étaient les seuls dans cette partie du continent qui eussent des greniers bien remplis et des troupeaux abondants, les vainqueurs et les vaincus, les citoyens de jadis et les nouveaux maîtres, vinrent s’approvisionner chez eux. L’escadre du duc d’Anville, jetée par des contretemps dans la rade de Chebouctou, était ravagée par la peste : des commissaires vinrent demander des aliments frais pour les équipages décimés, aux Mines, à Cobequid et à Chignectou. On leur en donna ; c’était pour des Français expirants qu’on leur tendait la main, et rien dans leurs nouveaux liens politiques ne leur défendait cet acte d’humanité.

Pendant ces événements, il est naturel de croire que les sollici-