Page:Bouquet - Recueil des Historiens des Gaules et de la France, 3.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
SUR LES CHRONIQUES.

proposer ma conjecture, que je n’eusse vû auparavant d’autres mss. J’en ai consulté un beau qui appartient à Mr l’Abbé de Rothelin, et qu’il m’a prêté avec la politesse que tout le monde lui connoît. Ce ms. porte, qui ores regne en 1274. ce qui renverse tout à fait ma conjecture. Ainsi on ne peut s’empêcher de fixer l’époque de la traduction Françoise de Rigord à l’an 1274.

Quoique les paroles des deux mss. que je viens de citer, ne prouvent pas que le Traducteur François de Rigord ait aussi traduit toutes les Chroniques de S. Denis jusqu’à Philippe Auguste, ces deux mss. cependant le prouvent invinciblement un peu plus haut. Car cet Auteur passe l’endroit, où Rigord fait la généalogie des premiers Rois de France, et en apporte cette raison : Ci endroit, dit-il, fu descripte la genealogie des Roys ; mais nous n’en voulons pas autrement tretier, que nous en avons traitié au commencement des Croniques. Mais toutes voies peut-on bien ci endroit mettre le nombre et le descendement de la genealogie. Ces paroles se trouvent aussi dans l’imprimé : mais elles ne sont pas dans le ms. du roi, qui porte toute autre chose, quoiqu’il omette aussi l’endroit où Rigord parle des premiers Rois. Il est même surprenant que ce ms. qui est au moins aussi ancien que celui de S. Germain et celui de Mr l’Abbé de Rothelin, poussa la suite des Rois de France jusqu’à Philippes le Biau qui trespassa l’an de grace 1314. et fu fils Philippes le Hardi. Il se presente encore une autre difficulté. Si les Chroniques de S. Denis étoient traduites en François en 1274. jusques à la vie de Philippe Auguste inclusivement, pourquoi Philippe Mouskes à la fin du 13. siécle, et Guillaume Guiart au commencement du 14. disent-ils qu’ils ont travaillé sur les Auteurs Latins des Chroniques, et qu’ils ont été obligés de les traduire en François ? On peut répondre à cela, que dans ce tems-là on ne presentoit encore dans l’Abbaye de S. Denis que les Auteurs Latins, c’est-à-dire les Originaux, à ceux qui venoient consulter les Chroniques, et non pas les traductions Françoises, qui en avoient été faites.

Il n’y a gueres d’apparence, quoique cela ne soit pas absolument impossible, que l’Auteur qui traduisoit la Vie de Philippe Auguste en 1274. ait aussi traduit plus de 26. ans après la Vie de S. Louis et celle de son fils Philippe le Hardi. Car Guillaume de Nangis auteur de ces deux Vies ne les présenta en latin au Roi Philippe le Bel qu’en 1300. Rien ne nous porte à croire que Guillaume de Nangis ait traduit ces deux Vies en François, ni même qu’il soit Auteur de toute la traduction des Chroniques : tout ce que nous savons, c’est qu’il a traduit sa Chronique Latine. Si le Prologue des Chroniques de S. Denis a quelque ressemblance avec celui que Guillaume de Nangis a mis à la tête de sa Chronique Françoise ; de Nangis peut avoir imité le Traducteur des Chroniques ; ou l’on peut avoir ajouté un Prologue aux Chroniques : aussi bien ne peut-on pas rendre raison pourquoi il s’en trouve deux. Il n’y a aucun lieu de s’étonner que les Chroniques Françoises donnent à Louis IX. la qualité de Saint, puisque Guillaume de Nangis, dont l’ouvrage est postérieur à la Canonisation de ce Saint, lui donne lui-même cette qualité. Je remarquerai en passant que la Vie de S. Louis dans le ms. du Roi est différente de celle qui se trouve dans le ms. de S. Germain, dans celui de Rothelin et dans l’imprimé. C’est ce que nous examinerons plus amplement, lorsque nous en serons là.

Le premier Historien traduit dans les Chroniques de S. Denis est Aimoin. Mr de Sainte-Palaye rend raison de ce qu’on a plûtôt choisi cet Historien que Gregoire de Tours et Fredegaire, qui sont des Auteurs plus dignes de foi et plus