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liarité de Diderot, qui tenait encore à Paris le sceptre de la conversation. C’était débuter par les grandes entrées. »

Je trouve cette dernière phrase au moins singulière dans la bouche d’un éditeur de Joubert, et, par les aveux même de celui-ci, nous savons où il faillit être conduit par ces grandes entrées. Jeté, lui le jeune homme pieux et candide, par une curiosité téméraire ou par l’imprudence d’un ami, dans ce milieu fatal à tant d’autres, il fallait une sorte de miracle pour qu’il ouvrît les yeux et pût sortir sain et sauf de ce Capharnaüm. « Car peu à peu, dit M. Paul de Raynal, il se laissait aller, du moins il s’en accuse, à l’entraînement du flot philosophique. Il était difficile, on le comprend, qu’un jeune homme récemment arrivé de la province et tombé, par une bonne fortune inattendue (sic) dans cette énivrante atmosphère, se garantit complètement des séductions qui subjugeaient une société déjà blasée. N’était-il pas à cet âge où, pour peu qu’on relâche les rênes, l’esprit s’échappe en courses folles sans se détourner des obstacles, sans respecter les barrières[1] ? »

Quoiqu’il en soit, Joubert eut le bonheur d’être à temps éclairé sur le péril et de s’en éloigner, et peut-être, grâce à la trempe vigoureuse de son esprit, « qu’en passant au milieu des erreurs du temps, il apprit à mieux aimer les vérités éternelles. » Rentré dans le calme et la pleine possession de lui-même, il se remit aux études littéraires, charme de sa jeunesse, et c’est alors que, par la communauté de goûts et d’humeurs,

  1. Vie et travaux de Joubert.