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de retrouver des forces, il se croyait souvent obligé de fermer les yeux et de ne point parler pendant des heures entières. Dieu sait quel bruit et quel mouvement se passaient intérieurement pendant ce silence et ce repos qu’il s’ordonnait ! M. Joubert changeait à chaque moment de diète et de régime ; vivant un jour de lait, un autre jour de viande hachée, se faisant cahoter au grand trot sur les chemins les plus rudes, ou traîner au petit pas dans les allées les plus unies. Quand il lisait, il déchirait de ses livres les feuilles qui lui déplaisaient, ayant de la sorte une bibliothèque à son usage, composée d’ouvrages évidés renfermés dans des couvertures trop larges.

« Profond métaphysicien, sa philosophie, par une élaboration qui lui était propre, devenait peinture ou poésie ; Platon à cœur de la Fontaine, il s’était fait l’idée d’une perfection qui l’empêchait de rien achever. Dans des manuscrits trouvés après sa mort, il dit : « Je suis comme une harpe éolienne qui rend quelques beaux sons et qui n’exécute aucun air. » Madame Victorine de Châtenay prétendait qu’il avait l’air d’une âme qui avait rencontré par hasard un corps et qui s’en tirait comme elle pouvait : définition charmante et vraie. »

Enfin du vivant même de Joubert, l’auteur du Génie du Christianisme lui écrivait entre autres choses : « Qui m’aurait dit que, dans cette petite ville, demeurerait un homme que j’aimerais tendrement, un homme rare dont le cœur est de l’or, qui a autant d’esprit que les plus spirituels, et qui a par ci par là du génie ? Mon cher ami, je vous le dis les larmes aux yeux, parce que je suis loin de vous : il n’y a point d’homme