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aux dominos, au café, avec un membre du comité du salut public ; c’était le marchand de beurre dont j’ai parlé. Je tournais le dos à la rue, Mazie lui faisait face ; il voit passer dans la rue Monconseil un notaire de ma connaissance, fort digne homme et père de famille.

« En voilà un qui fait bien de se promener, dit-il avec un sourire infâme, en posant son double-deux ; dans sept jours, il aura craché dans le grand panier. »

» Sa phrase n’était pas encore achevée que déjà je lui avais appliqué un vigoureux soufflet ; il en demeura tout étourdi. Je me levai alors, tremblant de colère et d’horreur, et je quittai le café sans mot dire.

» Après m’être promené quelques instants pour dissiper un peu mon agitation, je rentrai chez moi, assez calme en apparence, mais toujours fort inquiet des suites de ma vivacité. Avoir souffleté un honorable membre du comité révolutionnaire, c’était un crime de lèze-nation ; cela ne pouvait manquer de me conduire à la guillotine comme un ennemi du peuple, un aristocrate, un infâme modéré. »

La femme de Richard (car il était marié depuis quelque temps), instruite déjà de l’évènement, eut l’air de tout ignorer ; et, tranquille de ce côté, Richard, les rideaux tirés, fit ses préparatifs ; car, en homme résolu, il comptait se défendre et voulait vendre au moins chèrement sa vie. « Je sortis de mon secrétaire une paire d’espingoles de gros calibre, je les chargeai et posai près d’elles mes papiers indispensables… Tout fut calme cependant jusqu’à minuit. Alors j’entends des voix confuses, et le bruit de la patrouille qui se dirige vers ma maison ; on s’arrête à la porte ; je saute à bas