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— Vite, vite, cachez-vous, dit la marquise, c’est le roi qui se promène.

Racine s’enfonça dans un bosquet et depuis ils ne se revirent plus.

« On s’était enfin aperçu que sa maladie était causée par un abcès au foie ; et quoiqu’il ne fût plus temps d’y apporter remède, on résolut de lui faire l’opération. Il s’y prépara avec une grande fermeté et en même temps il se prépara à la mort. Mon frère s’étant approché pour lui dire qu’il espérait que l’opération lui rendrait la vie :

— Et vous aussi, mon fils, lui répondit-il, voulez-vous faire comme les médecins et m’amuser ? Dieu est le maître de me rendre la vie ; mais les frais de la mort sont faits.

« Il en avait eu toute sa vie d’extrêmes frayeurs que la religion dissipa entièrement dans sa dernière maladie.… l’opération fut faite trop tard, et trois jours après il mourut (21 avril 1699) après avoir reçu ses sacrements avec de grands sentiments de piété. » (Mémoires de Louis Racine).

Il fut tel du reste, à cette heure suprême, qu’il s’était montré pendant toute sa maladie où par sa patience il édifia tout ceux qui connaissaient la vivacité de son caractère. Ses douleurs étaient parfois très-aiguës, il les reçut de la main de Dieu avec autant de douceur que de soumission. Tourmenté pendant trois semaines d’une cruelle sécheresse de langue et de gosier, il se contentait de dire :

— J’offre à Dieu cette peine : puisse-t-elle expier le plaisir que j’ai trouvé souvent aux tables des grands !

« Lorsqu’il fut persuadé que sa maladie finirait par la