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Il revenait un jour de Versailles pour goûter ce plaisir, lorsqu’un écuyer de M. le Duc (le prince de Condé) vint lui dire qu’on l’attendait à dîner à l’hôtel.

— Je n’aurai point l’honneur d’y aller, lui répondit-il : il y a plus de huit jours que je n’ai vu ma femme et mes enfants qui se font une fête de manger aujourd’hui avec moi une très belle carpe ; je ne puis me dispenser de dîner avec eux.

L’écuyer lui représenta qu’une nombreuse compagnie, invitée au repas de M. le Duc, se faisait aussi une fête de l’avoir et que le Prince serait mortifié s’il ne venait pas ; « une personne de la cour qui m’a raconté la chose, dit Louis Racine, m’a assuré que mon père fit apporter la carpe, qui était d’environ un écu, et que la montrant à l’écuyer, il lui dit :

— Jugez vous-même si je puis me dispenser de dîner avec ces pauvres enfants qui ont voulu me régaler aujourd’hui et n’auraient plus de plaisir s’ils mangeaient ce plat sans moi. Je vous prie de faire valoir cette raison à Son Altesse sérénissime.

« L’écuyer la rapporta fidèlement, et l’éloge qu’il fit de la carpe devint l’éloge de la bonté de mon Père. »

Racine disait un jour à son fils :

« Je ne vous dissimulerai point que, dans la chaleur de la composition, on ne soit quelquefois content de soi ; mais, et vous pouvez m’en croire, lorsqu’on jette le lendemain les yeux sur son ouvrage, on est tout étonné de ne plus rien trouver de bon dans ce qu’on admirait la veille ; et quand on vient à considérer, quelque bien qu’on ait fait, qu’on aurait pu mieux faire, et combien on est éloigné de la perfection, on