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Ne jugeait point toujours de l’art en moraliste.
Critique à l’œil de lynx et jamais endormi,
Mais voyant dans Molière un confrère, un ami,
Le vieux Boileau gardait pour les sots ses férules.
Prompt à les quereller pour de simples virgules.
S’il me faut te le dire enfin, quoique tout bas,
Boileau fit plus d’un vers que je n’approuve pas.
— Muse, tu me fais peur, terriblement sévère,
— Pour ceux que j’aime, enfant, je dois être sincère,
Car leur gloire est la mienne, et si, malgré ma loi,
Ils viennent à faillir, s’en prend-on pas à moi ?
Va, tu ne peux savoir combien certaines pages,
Que dis-je ? quelques vers ont causé de ravages !
Tremble, jeune homme, tremble, orgueilleux de ton lot !
Souvent, pour perdre une âme, il a suffi d’un mot.
Ah ! notre art, sais-tu bien, n’est pas un jeu frivole.
— Il est trop vrai, moi-même, une simple parole,
Je l’éprouve, un seul mot, un mot dit au hasard,
Quelquefois pour le cœur semble un coup de poignard.
— Et tu peux t’étonner si j’accuse Molière ?
— Hélas ! — Et si devant cette ombre familière
Je veux qu’en t’inclinant, sévère et solennel,
Tu ne l’excuses pas quand il fut criminel ;
Et, fût-ce avec douleur, qu’en juge incorruptible,
Malgré son art savant, suprême, irrésistible,
Tu saches le blâmer ? — Moi, moi, qu’à ce géant
J’ose bien m’attaquer, oubliant mon néant ?
— Souviens-toi de David. Mais, enfant, je t’écoute,
Quand j’ai droit d’ordonner. Va, moi-même il m’en coûte,
Et c’est avec chagrin que, préférant me taire,
 Je dois forcer ma bouche à ce langage austère.