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écrit en octobre 1802, et dont le brouillon s’est retrouvé dans ses papiers après sa mort.

« Ô hommes qui me croyez haineux, intraitable ou misanthrope, et qui me représentez comme tel, combien vous me faites tort ! Vous ignorez les raisons qui font que je vous parais ainsi. Dès mon enfance, j’étais porté de cœur et d’esprit au sentiment de la bienveillance : j’éprouvais même le besoin de faire de belles actions ; mais songez que, depuis six années, je souffre d’un mal terrible qu’aggravent d’ignorants médecins… Pensez que, né avec un tempérament ardent, impétueux, capable de sentir les agréments de la société, j’ai été obligé de m’en séparer de bonne heure et de mener une vie solitaire. Si quelquefois je voulais oublier mon infirmité, oh ! combien j’en étais durement puni par la triste et douloureuse épreuve de ma difficulté d’entendre. Et cependant il m’était impossible de dire aux hommes : Parlez plus haut, criez, je suis sourd ! Comment me résoudre à avouer la faiblesse d’un sens qui aurait dû être chez moi plus complet que chez tout autre, d’un sens que j’ai possédé dans l’état de perfection… Vivant presque entièrement seul, sans autres relations que celles qu’une impérieuse nécessité commande, semblable à un banni, toutes les fois que je m’approche du monde, une affreuse inquiétude s’empare de moi ; je crains à tout moment d’y faire apercevoir mon état. »

Voilà, il faut en convenir, un étrange amour-propre ! On ne doit rougir que de ses fautes et de ce qui mérite le blâme. Mais pourquoi cette honte pour ce qui n’était qu’un malheur, fait pour éveiller la sympathie et la