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tendre adieu à ses compagnons de captivité, leur souhaita un meilleur sort et, suivant le bourreau sans faiblesse comme sans forfanterie, monta sur la fatale charrette, les mains attachées derrière le dos. Notre confrère avait coutume de dire. « On doit avoir mauvaise opinion de ceux qui n’ont pas, en mourant, un regard à jeter en arrière. » Le dernier regard de Bailly fut pour sa femme. Un gendarme de l’escorte recueillit avec sensibilité les paroles de la victime et les reporta fidèlement à la veuve. Le cortége arriva à l’entrée du Champ de Mars, du côté de la rivière, à une heure un quart. C’était la place où, conformément aux termes du jugement, on avait élevé l’échafaud. La foule aveuglée qui s’y trouvait réunie, s’écria avec fureur que la terre sacrée du Champ de la Fédération ne devait pas être souillée par la présence et par le sang de celui qu’elle appelait un grand criminel ; sur sa demande, j’ai presque dit, sur ses ordres, l’instrument du supplice fut démonté, transporté pièce à pièce dans un des fossés, et remonté de nouveau. Bailly resta le témoin impassible de ces effroyables préparatifs, de ces infernales clameurs. Pas une plainte ne sortit de sa bouche. La pluie tombait depuis le matin ; elle était froide, elle inondait le corps et surtout la tête nue du vieillard. Un misérable s’aperçut qu’il frissonnait, et lui cria : « Tu trembles Bailly ?Mon ami, j’ai froid, répondit avec douceur la victime. » Ce furent ses dernières paroles.

« Bailly descendit dans le fossé, où le bourreau brûla devant lui le drapeau rouge du 17 juillet ; il monta ensuite d’un pas ferme sur l’échafaud. Ayons le courage de le dire, lorsque la tête de notre vénérable confrère