Page:Bouniol - Les rues de Paris, 1.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de proposer une opération très-hardie et nouvelle pour une des maladies dont il souffrait. Aussitôt il le fait appeler et l’invite à tenter sur lui-même une nouvelle expérience.

— Mais, dit le praticien, je puis avoir le malheur de ne pas réussir.

— Que cela ne vous inquiète pas, monsieur ; je suis vieux et malade ; on dira que la nature vous a mal secondé. Tout au contraire, si vous me guérissez, je rendrai moi-même à l’Académie un compte exact de votre procédé, et cela vous fera, je crois, grand honneur.

Le jeune homme consent, l’opération a lieu, mais ce qui n’arrive guère d’habitude, le malade, trouvant qu’il était trop expéditif, lui disait :

« Allez donc plus doucement, monsieur, je vous prie, qu’importe que je souffre un peu davantage ! L’important est que je voie et puisse bien me rendre compte de votre procédé, afin de faire mon rapport à l’Académie. »

La Condamine n’eut pas cette satisfaction. Il succomba aux suites de cette opération, supportée avec un courage qui ne l’abandonna pas jusqu’à la fin, en dépit de ses souffrances. On aime à voir Delille ajouter : « Le même enthousiasme et la même curiosité qui lui avaient fait si souvent exposer sa vie, ont avancé sa mort ; il l’a vue s’approcher, je ne dis pas avec intrépidité, mais j’oserais presque dire avec distraction. Ce n’était point l’incrédulité stupide, qui cherche à s’étourdir sur ce dernier moment, c’était l’inattention d’un homme ardent, dont l’âme se prend et s’attache, jusqu’au dernier soupir, à tout ce qui l’environne, qui se hâte de vivre, et dont l’activité n’a fini qu’avec lui. » Mais cette préoccupation