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composée de femmes surtout, qui venaient attirées par une curiosité blâmable et pour assister aux derniers moments des malheureux condamnés. Alors, enflammé d’une sainte indignation, lui d’ordinaire tout onction et toute douceur, il s’écrie avec le geste véhément et la voix tonnante d’un Bridaine :

« Les orateurs sont ordinairement flattés d’avoir un auditoire nombreux et moi j’ai honte de celui que j’ai sous les yeux. Il y a donc des hommes pour qui la mort de leurs semblables est un spectacle de plaisir, et un objet de curiosité ? Mais vous surtout, femmes, que venez-vous faire ici ? Est-ce pour essuyer les sueurs froides de la mort qui découlent du visage de ces infortunés ? Est-ce pour éprouver les émotions douloureuses que cette scène doit inspirer à toute âme sensible ? Non sans doute : c’est donc pour voir leurs angoisses et les voir d’un œil sec, avide et empressé ? Ah ! j’ai honte pour vous et vos yeux sont pleins d’homicide. Vous vous vantez d’être sensibles et vous dites que c’est la première vertu de la femme ; mais si le supplice d’autrui est pour vous un plaisir et la mort d’un homme un amusement de curiosité qui vous attire, je ne dois plus croire à la vertu ; vous oubliez votre sexe, vous en faites le déshonneur et l’opprobre. »

Ambroise ou Chrysostôme n’aurait pas mieux dit. À de tels élans on reconnaît le grand cœur ; et c’est à eux surtout que peut s’appliquer cette belle parole de Lacordaire : « L’éloquence c’est l’âme même. » Après cette terrible apostrophe, il n’est pas besoin de dire qu’autour de l’échafaud rares furent les curieux et surtout les cu-