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république ! On ne conçoit pas ici qu’une femme inutile, dont la plus longue vie n’est bonne à rien, puisse s’immoler de sang-froid à son pays. » La pauvre jeune héroïne n’eût pas dû ignorer que l’assassinat jamais n’a rien fondé, et qu’une vie n’est jamais inutile, n’est jamais trop longue, lorsqu’elle est remplie par la pratique des humbles et pieuses vertus et des obscurs dévoûments qui sont l’honneur de la femme, jeune fille où mère de famille.

Quelques mois après l’exécution de Charlotte Corday, Chauveau-Lagarde fut choisi d’office par le tribunal pour défendre une autre et plus illustre accusée, l’infortunée Marie-Antoinette. « Quelques personnes, dit Chauveau-Lagarde lui-même dans sa brochure si intéressante relative au procès[1], ont vanté le prétendu courage qu’il nous fallut (à M. Tronçon-Ducoudray et à moi) pour accepter cette tâche à la fois honorable et pénible : elles se sont trompées. Il n’y a point de vrai courage sans réflexion. Nous ne songeâmes pas même aux dangers que nous allions courir. Je partis à l’instant pour la prison, plein du sentiment d’un devoir si sacré, mêlé de la plus profonde amertume. »

Puis il reprend avec un accent où le cœur se trahit, où l’on sent cette vivacité de souvenirs du témoin oculaire ému, attendri : « La chambre où fut renfermée la Reine était alors divisée en deux parties par un paravent. À gauche en entrant était un gendarme avec ses armes ; à droite, on voyait dans la partie occupée par

  1. Notice historique sur les procès de la reine Marie-Antoinette et de Madame Elisabeth ; in-8o, 1816.