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La biographe ajoute cependant en façon de correctif : « L’auteur du Génie du Christianisme n’a certainement pas échappé à la grande infirmité de notre époque. Il a eu sa part, et une assez forte part d’égoïsme et d’orgueil. Mais ceux qui ont pu l’étudier de près dans sa vieillesse, à cet âge où les traits de caractère deviennent, comme les traits du visage, plus accentués et plus saillants, ceux-là savent tout ce qui se mêlait de noblesse d’âme et de sincère défiance de soi-même à cet égoïsme et à cet orgueil qu’engendrent les séductions de la gloire. »

Pour être juste et comme circonstance atténuante, faudrait-il ajouter que chez le poète cet état douloureux autant que singulier pouvait tenir à je ne sais quelle disposition physique et maladive, à une lacune dans l’organisation. L’admirable Joubert, dans cette étonnante lettre du 21 octobre 1803, où le Chateaubriand, qui sera pour tant d’autres une énigme incompréhensible, se trouve, nombre d’années à l’avance, si bien déchiffré, et l’on peut dire, percé à jour, Joubert nous dit en propres termes :

« Un fonds d’ennui, qui semble avoir pour réservoir l’espace immense qui est vacant entre lui-même et ses pensées exige perpétuellement de lui des distractions qu’aucune occupation, aucune société ne lui fourniront jamais à son gré et auxquelles aucune fortune ne pourrait suffire, s’il ne devenait tôt ou tard sage et réglé. Tel est en lui l’homme natif… »

Citons de cette lettre quelques passages encore non moins instructifs que curieux : « Il est certain qu’il a blessé dans son ouvrage des convenances importantes, et que même il s’en soucie fort peu, car il croit que son