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LE SAINT GRAAL

tables que jamais devant roi ni empereur il n’y en eut d’aussi précieux. Perceval en mangea et but tout son soûl, et, comme il avait des épices à volonté et que la pucelle lui versait sans cesse du vin, soit blanc, soit rouge, claret, vieux, nouveau, cuit ou rosé, il s’échauffa plus qu’il n’eût dû. Or, tant plus il buvait, tant plus la demoiselle lui semblait belle ; en même temps elle lui disait de très douces paroles, si bien qu’à la fin il la requit d’amour. Elle refusa d’abord et se défendit quelque peu, afin qu’il fût plus ardent et désirant ; mais, quand elle le jugea à point, elle sourit et se coucha.

Perceval venait de s’étendre auprès d’elle lorsqu’il vit son épée à terre. Il allongea la main pour la relever et l’appuyer au lit ; mais, ce faisant, il remarqua la croix vermeille qui était gravée sur le pommeau, et cela lui rappela de se signer : il fit le signe de la croix sur son front. Dans le même moment, le pavillon et la femme s’évanouirent : il ne resta plus autour de lui qu’une fumée noire et une puanteur d’enfer.

— Beau doux Père Jésus-Christ, qui naquîtes de la Vierge Marie, cria-t-il tout effrayé, secourez-moi de Votre grâce ou je suis perdu !

À ces mots, la fumée disparut ; mais il demeura si dolent qu’il eût préféré d’être mort. Il tira du fourreau l’épée qui l’avait sauvé et s’en frappa la cuisse gauche, de façon que le sang jaillit. Puis, se voyant presque nu, ses habits