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ÉCLAIRCISSEMENT

propres et quelques thèmes. Et lorsque Rabelais nous conte comment la fumée du rôt fut payée par le son de l’argent, dira-t-on que c’est là une œuvre orientale ? ou que les fables de La Fontaine sont de Phèdre ? Il n’y a pas plus de rapports entre le Gauvain des Bretons et le parfait « homme du monde » du dix-huitième siècle qui s’appelle ainsi dans le Lancelot en prose, par exemple, qu’entre le Télémaque d’Homère et celui de Fénelon.

Est-ce à dire, toutefois, que la littérature française ne doive rien à l’esprit breton ? Certes, il y a une singulière exagération à écrire, comme on l’a fait, que nos contes « bretons » se déroulent « dans un monde enchanté où, à chaque pas, surgit le prodige » : au juste, je ne vois pas beaucoup plus de merveilleux dans Chrétien de Troyes, même, que dans tel roman du cycle « antique » ; toutefois nos trouvères ont assurément goûté cette atmosphère de féerie qui est propre aux légendes celtiques. Mais ce que les Français ont aimé surtout dans la matière de Bretagne, ce qui les y a enchantés, ce n’est point cela : c’est une nouvelle idée de l’amour.

Dans les chansons de geste, l’amour tient peu de place : les rudes chevaliers n’éprouvent que des désirs brutaux ; ce sont les femmes qui s’éprennent, toujours en coup de foudre ; bien mieux, ce sont elles qui sollicitent, et l’homme accueille leurs propositions avec une condescendance légèrement dédaigneuse. Mais, au douzième siècle, voici que