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DEUIL DE GAUVAIN

Et il était de plus en plus troublé, mais il n’en faisait pas semblant. Enfin il entra dans le champ et d’abord aperçut le roi qui serrait sur sa poitrine le corps ensanglanté de Gaheriet et qui lui cria :

— Gauvain, Gauvain, voyez votre deuil et le mien !

Ainsi reconnut-il son frère, et ses jambes fléchirent, le cœur lui manqua, il tomba comme mort, tandis que les compagnons du roi s’assemblaient autour de lui en déplorant le jour qui amenait de toutes parts de si grands dommages. Longtemps il demeura de la sorte ; enfin il se releva, courut à Gaheriet, l’étreignit, et du baiser qu’il lui donna sentit tant de douleur, qu’il retomba, évanoui, sur le mort. Et, quand il revint de pâmoison, il s’assit à côté du corps et dit :

— Ha, beau doux frère, comme il fallait qu’il vous haït, celui qui vous a si rudement navré ! Maudit soit le bras qui vous frappa, honnissant moi et ma parenté ! Bel ami, si doux et débonnaire, pilier de tout notre lignage, qui passiez en chevalerie tous vos pairs, comment la fortune a-t-elle pu souffrir votre chute si laide et si vilaine ? Certes, je ne souhaite pas tant de vivre que de vous venger du déloyal, du félon qui vous a fait une telle cruauté !

Messire Gauvain avait le cœur serré au point qu’il n’en put dire davantage ; mais quand, en