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LA MORT D’ARTUS

Gauvain, et il le vit gisant tout froid. Il courut à lui, le prit dans ses bras, le serra si étroitement qu’il l’eût tué, s’il eût été encore en vie : certes, il n’est douleur qu’on puisse éprouver d’autrui qu’à ce moment le roi ne sentit ! Si bien qu’il pâma de nouveau et demeura plus de temps évanoui qu’il n’en faut pour faire une demi-lieue à pied.

— Ha, mort, dit-il enfin, si vous tardez encore à m’emporter, je vous tiendrai pour trop lente et vilaine ! Ha, Gaheriet, beau neveu, c’est pour mon malheur que fut forgée la bonne épée qui vous a navré ! Périsse celui qui vous en a féru, honnissant moi et mon lignage !

Ce disant, il accolait et baisait le corps sanglant ; et sachez qu’il n’était personne qui ne s’émerveillât de son deuil, bien que chacun eût grand chagrin, car tout le monde aimait Gaheriet de bon amour.

Cependant, messire Gauvain était sorti de son logis. Les premiers qu’il rencontra dans la rue lui dirent en pleurant :

— Ha, messire Gauvain, si vous voulez connaître votre grande douleur, allez au champ, là-bas !

Il crut qu’ils plaignaient la mort de la reine, et, sans leur répondre, il continua de marcher, la tête basse. Mais chacun répétait autour de lui :

— Allez, messire Gauvain, allez voir votre grande douleur !